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Mathilde

Publié le 05 août 2014 par Ctrltab

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J’ai les seins lourds, énormes ; les deux petites accrochées aux mamelons. Elles me tètent, je ne m’appartiens plus. Trêve de conneries, Chloé me fait la gueule depuis un mois. Elle ne peut plus toucher comme elle veut mes nichons, ils appartiennent à deux autres, elle râle. Moi, je n’ai qu’une envie, retrouver un cerveau, gambader les jambes nues dans la rue, être matée par tous comme une femme désirable. Planter ces cons de médecins et leur plaisir vicieux d’enfermer les femelles allaitantes dans le gynécée. A les écouter, je n’aurais pas le droit de sortir plus de trente minutes par jour afin de permettre de reconstituer mon périnée. Je les emmerde, c’est bien la première fois qu’ils se soucient du bien-être de ma chatte. Anouk me mord le téton gauche, aïe ! Petite vilaine, tu vas me faire des crevasses. Je lui caresse sa nuque, là où c’est le plus tendre, sous ses débuts de boucles. Fais attention, ma douce.

Je suis assise sur le canapé en cuir noir de notre salon, je suis seule, face au grand miroir de la cheminée. Les murs sont blancs, le plafond haut, les moulures haussmanniennes. Intérieur bourgeois. L’air est rempli de microparticules, qui dansent, petites paillettes à travers la lumière du matin. Chloé ne devrait pas tarder à rentrer. Elle est descendue à la pharmacie honorer l’ordonnance du jour, de nouveau longue comme trois bras. Je me demande si ce n’est pas une autre duperie de la médecine moderne : nous faire croire que les bébés sont faibles, malades par nature. Leur survie tiendrait à un gavage de médocs. A mon avis, c’est tout le contraire. Mais ça rassure Chloé, alors je laisse faire. Je regarde les deux petites, à moitié endormies, à moitié suçotant. Elles sont belles. Mariette, pourtant plus fluette à la naissance, est désormais plus dodue que sa sœur. Elle a de bonnes joues qui se dessinent. Nos peaux blanches se mélangent. La ramification de mes veines se révèle, des fils bleus me traversent tout au long de mes nibards gonflés. J’aurais envie de pleurer. Non, ça ferait trop de liquide, de suc, de larves, de lait, de larmes qui partent dans tous les sens. Je préfère remplacer ça par de la fumée grise. Et j’emmerde la science qui n’aime pas le dieu Tabac et les dérivés voluptueux des sens. Je tends le bras, le paquet de Jean-Paul Sartre n’est pas loin, à deux doigts sur le guéridon. J’ai les ongles longs, rouges, je vais bien y arriver. Ca y est. Il faut que je me dépêche. Chloé va rentrer. Elle ne supporte pas que je clope quand j’allaite. « J’ai pas envie que nos bébés ressemblent à des putes thaïlandaises aux bras troués par les mégots de blancs-becs pervers. » Je profite de l’exil de la morale pour m’en cramer une. C’est un peu compliqué. Je ne peux pas ouvrir la fenêtre, Mariette et Anouk risquent de prendre froid. Alors j’appuie la tête contre le canapé, j’étends la main en possession de l’objet du crime le plus loin possible de la tête des filles et je souffle la fumée au ciel, vers le plafond. Je m’amuse à faire des ronds. J’arrondis la bouche, lèvres en avant. Ca me rappelle la technique pour tailler une pipe. Je pense à la dernière que j’ai sucée. Une belle, longue et fine. Ca fait longtemps. Cinq ans. La nicotine me fait divaguer, le sang me monte à ma tête renversée.

J’étais en couple hétéro alors. Mariage de mon frère à Annecy. Ma meilleure pote se ramène avec sa nouvelle conquête, Chloé. Saouleries, tours de barque, salsa, drague, lampions, tempête, dîner, tarte à la crème, main dans la culotte, Chloé me roule une pelle en douce dans un fourré et puis me lèche la chatte. Je ne sais plus comment on est arrivé là. Ma robe est courte et ma culotte s’enlève facilement. Avant, échanges de regards. J’allume, joue ma salope, j’ai envie de m’amuser. Je gémis, je viens. «On va se revoir bientôt, toi et moi. Tu seras mienne. » Je ris devant son air déterminé et puis retourne célébrer l’union et la fidélité sur la piste de danse improvisée en plein air. Je ne retrouve pas mon string dans le noir, tant pis. Mon mec m’attend. Il me prend dans ses bras, je suis humide et chaude. Tout mon être est en expansion. Ca vibre encore en moi, je suis pleine du plaisir que m’a donné Chloé. Je suis libre. Nous dansons, amoureux, unis, finis. Dans six mois, je le quitterais pour Chloé.

Une porte claque. Merde, grillée ! Je chasse la fumée et agite stupidement les mains en l’air. Puis je tente précipitamment de cacher ma cigarette, la plante dans l’interstice du canapé. Chloé, bonnet sur la tête, surgit, se plante tel un cow boy dans le salon, dégaine les deux paquets de la pharma et me lance un regard torve : « Putain, Mathilde, tu déconnes ! » Je me cramponne à Anouk et Mariette, ne souffle aucun mot. « Et putain, qu’est-ce que ça sent ? C’est quoi, cette odeur de cochon grillé ? » Je baisse la tête, ma cigarette est mal éteinte et attaque le cuir. Le canapé est en train de prendre feu sous mes fesses.


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