Lundi 10 août
Chère, chère Cécile
Je t’écris de la même place qu’hier, mais je crois que nous y sommes plus pour longtemps. Je ne sais ni ne peux donner d’autres détails, une sage mesure de prudence l’interdisant...
Il va d’ailleurs falloir prendre notre parti d’être sans nouvelles, mais de mon côté, je ne manquerai jamais une occasion de t’envoyer mes pensées. Mon rôle de chef de popote devient de plus en plus difficile, vu la rareté des vivres. Cependant nous n’avons encore manqué de rien. Il fait en ce moment une chaleur torride, mais je n’ai pas à en souffrir, puisque je suis de garde.
Je viens de voir sur l’Est le départ du préfet et son remplacement par M. Mirman (?) avec lequel M. de Genneville, je crois est en bons termes.
Je constate aussi la continuation de bonnes nouvelles. Il est certain que les allemands doivent en rabattre leurs prétentions.
Comme tu le vois ma chérie, je suis jusqu’à présent favorisé par le sort, j’espère que cela continuera. Mon seul souci est les craintes de te voir, là-bas, l’objet de mesures vexatoires ou pouvant te nuire. J’ai l’espoir que pareille vilenie ne se produise, mais s’il en était ainsi, le reste de mes jours ne suffiraient pas à châtier le responsable. Ne crois pas malgré tout que je sois sous l’influence d’une situation morale laissant à désirer.
Moins gai peut-être, je ne laisse cependant échapper aucune occasion de donner libre cours à la bonne humeur. C’est ainsi qu’il y a quelques nuits, j’ai dû déboucher vers 1 heure du matin, en pleine forêt, mon flacon d’eau de Cologne, pour… désinfecter la culotte de Clément qui s’était assis sur ce que tu devines. L’emploi de l’eau de Cologne, en pareille circonstance, tu t’en rends compte, n’était pas banal.
Je cesse encore une fois ma chérie, en t’embrassant bien fort. Je pense constamment à toi, à nos deux chers enfants. Ce nuage sur notre bonheur se dissipera bientôt, j’en ai le ferme espoir. Je doute toujours, c’est peut-être de la folie, au commencement des hostilités. Quoi qu’il en soit on peut être plus prêt, et quel esprit !!
Au revoir chérie, au revoir, embrasse Loulou, souvenirs aux amis.
J.Druesne
Ma tunique tient dans la cantine. Décidément je la garde.
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10 août 1914 (JMO du 37eRI)
Le 3e Bataillon quitte Eulmont pour se rendre à Faulx à la disposition du Géréral de Division.