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Chacun porte ses chaines

Publié le 10 août 2014 par Lonewolf

Damien se réveilla enchainé. Le soleil particulièrement brillant lui blessait les yeux malgré ses paupières à peine entrouvertes. Essayant de bouger les bras il se rendit compte qu’il n’était pas libre de ses mouvements. Baissant les yeux il découvrit qu’il était totalement entravé par des chaines. Etrangement il n’avait plus aucun souvenir. Impossible pour lui de savoir ce qu’il faisait ici, et d’ailleurs quel était cet ici.

Un bruit d’ailes tout proche le fit sursauter, forçant ses yeux à s’ouvrir totalement, il tourna la tête. Son cou aussi était entravé et il ne pouvait voir la bête qui venait de se percher près de lui, probablement dans son dos. Regardant au sol il repéra une ombre projetée par le soleil. On aurait dit une créature humanoïde avec des ailes qui se déployaient et se refermaient. Piochant dans ses souvenirs il pensa à une sorte de vautour même s’il n’en avait jamais vu réellement. La créature se trouvait sur une ombre plus imposante qui devait correspondre à ce à quoi il était attaché. Essayant de parler il se rendit compte que sa bouche était si sèche qu’il ne laissa sortir qu’un petit gargouillis sans signification. Un rire sardonique lui parvint d’au-dessus de lui. Dans un bruit terrifiant la créature pris son envol et vint se poser devant lui. L’immonde bête ressemblait à un être difforme avec des ailes de chauve-souris. Sa peau craquelée et rougie par le soleil pendait en lambeaux révélant une chair putréfiée d’une teinte verdâtre. Damien ressentit un haut le cœur en regardant le monstre et tira sur ses chaines ne parvenant qu’à se blesser et à faire couler le sang au niveau de ses liens.

La créature avec un rictus désagréable passa une langue dégoutante sur ses lèvres abimées. Comme si elle s’apprêtait à fondre sur lui. Alors que Damien s’attendait à ce qu’elle lui saute à la gorge, la créature prit son envol et Damien la vit s’éloigner jusqu’à n’être plus qu’un point noir dans le ciel d’un rouge vermillon. Pris de vertige Damien perdit connaissance. A son réveil, il découvrit que plusieurs créatures semblables se trouvaient devant lui, le regardant avec curiosité. L’odeur de pourriture qu’elles exhalaient finit par lui soulever le cœur et la bile se répandit sur son torse, le brûlant désagréablement. Damien remarqua alors qu’il était nu. L’une des créatures ouvrit la bouche et des sons qu’il ne comprenait pas en sortirent. Les autres créatures se mirent à lui répondre, comme si elles avaient une altercation dont il était la cible. Damien essaya de fermer les yeux imaginant que tout ceci n’était qu’un rêve et espérant que les créatures disparaitraient. Malheureusement lorsqu’il les rouvrit, elles étaient toujours là devant lui.

Damien observa que les ombres semblaient ne pas bouger sur le sol comme si le soleil avait été épinglé dans le ciel et n’en bougeait plus. La chaleur lui fit tourner de l’œil et il s’évanouit à nouveau. Il fut réveillé par des claquements violents et des brûlures sur son torse. Ouvrant les yeux il avisa une créature rouge deux fois plus grande que les précédentes. Celle-ci tenait une sorte de fouet qui semblait fait de lanières vivantes qu’il faisait claquer dans sa direction. Regardant sa peau il vit les zébrures qui s’étalaient sur son torse et le sang qui perlait s’écoulant sur le sol caillouteux et sec. La terre buvait son sang, comme assoiffée. Damien voulut hurler mais aucun son ne sorti de sa bouche trop sèche.

-   Alors te voilà réveillé. J’ai cru qu’il faudrait que je te saigne dans ton sommeil.

La voix caverneuse le fit trembler, faisant tinter les maillons des chaines qui le maintenaient. La bouche ouverte dans une réponse silencieuse Damien sentit les larmes lui monter aux yeux. La douleur du fouet et la frustration mêlée ne pouvant être contenu.

-   Je vois, tu n’arrives pas à parler hein ?

La créature émit un gloussement qui ressemblait à des pierres que l’on frotte l’une contre l’autre. S’approchant de Damien, la créature enfonça un ongle noir aussi long qu’une griffe dans sa peau et une humeur presque noire en sortit rapidement. Mettant son bras au-dessus du visage de Damien il ouvrit à nouveau la bouche.

-   Allez bois mon petit, si tu veux pouvoir parler tu n’as pas le choix.

L’odeur de viande avariée emplit complètement les narines de Damien, mais alors que le liquide noirâtre se répandait sur ses lèvres par un mouvement réflexe il se mit à boire avec avidité malgré l’odeur. Le goût ressemblait à de l’eau vaseuse qui aurait croupi trop longtemps sous un soleil de plomb. Pourtant Damien se sentit désaltéré rapidement et détourna le visage.

-   Alors tu veux me dire quelque chose petit ?

-   Qui êtes-vous ? Où suis-je ? Que me voulez-vous ? Pourquoi je suis attaché ?

-   C’est ça le problème tu vois ? Je préfère le silence à toutes ces questions. Mais c’est toujours la même chose. Et pourquoi ? Et comment ? Vous êtes tellement prévisibles. Tellement tous les mêmes. Ne me regarde pas comme ça, tu t’es cru exceptionnel, unique ? Allons, tourne la tête un peu et tu verras. Attends je vais t’aider.

La créature tira sur la chaine qui maintenait son cou, arrachant celle-ci à son support. Damien sentit son poids qui tirait sur ses chairs. Tournant la tête il découvrit une immense plaine qui s’étendait à perte de vue, à intervalle régulière on distinguait des sortes de rochers contre lesquels on pouvait voir briller des éclats métalliques. Parfois Damien distinguait une ou des créatures de toutes sortes devant ses rochers, parfois rien que la lumière violente du soleil se reflétant sur du métal.

-   Alors tu n’as pas une petite idée ? Si surement tu m’as l’air d’un garçon intelligent n’est-ce pas ?

Alors qu’à nouveau le bruit désagréable qui pouvait être un rire retentit Damien sentit son esprit se fissurer. Comme si la seule réponse à tout ceci était de sombrer dans la folie et de se détacher de ce qui l’entourait. Ses pensées devinrent confuses, ses mots se transforment en une bouillie de sons, plus rien ne fonctionnait mais il en tira une forme de soulagement et presque de bien-être. La bouche ouverte sur une parole à jamais perdue, la tête penchée sur le côté il s’évanouit à nouveau.

Des cris violents et des claquements répétés le réveillèrent à nouveau. Au-dessus de lui les premières créatures à l’avoir approché volaient de manière erratique. Damien avisa que l’énorme créature rouge était devant lui et dans la langue qu’il ne comprenait pas semblait les sermonner tout en faisant claquer son fouet dans leur direction. Certains coups atteignirent les bêtes qui piaillaient de douleur alors que les ailes membraneuses se déchiraient et qu’elles s’écroulaient au sol en se convulsant de douleur. Ses yeux ayant tendance à se refermer Damien essayait de retrouver le calme relatif et l’apaisement que l’oubli pouvait lui procurer dans ses absences. Un cri plus fort le fit sursauter, juste au-dessus de lui, une créature venait de se faire lacérer le torse. Un liquide vert et épais coula sur les chaines emprisonnant sa main gauche et sa jambe gauche. Evitant avec précaution de le faire couler sur sa peau, Damien senti une forte odeur acide lui piquer les narines. Les maillons bouillonnaient comme s’ils étaient rongés par cette étrange sécrétion. Des petites bulles se formaient et éclataient à la surface des maillons. Refermant les paupières afin de ne laisser qu’un mince trait de vision il regarda si la créature rouge avait remarqué, mais elle était aux prises avec d’autres créatures comme si un essaim s’était formé autour d’elle. Tirant son bras d’un coup sec, la chaine se rompit dans un bruit sourd. Le liquide coulant encore des maillons il approcha cette chaine de celles qui maintenaient son côté droit. Maladroitement au début et avec de plus en plus d’assurance à mesure que le monstre gigantesque et les créatures de plus petites tailles s’éloignaient dans un ballet de mort et de sang.

Prenant sa respiration aussi calmement que possible il tira en même temps sur toutes les chaines qui cédèrent le délivrant totalement. Damien regarda à droite et à gauche mais à part cette plaine qui semblait ne pas avoir de fin il ne voyait rien. Attendant que la créature rouge se retourne pour frapper un diablotin volant, il s’élança dans une direction au hasard, se glissant derrière le rocher sur lequel il était accroché quelques instants avant et courant de toute la force qu’il lui restait. L’énergie du désespoir emplissant son corps d’adrénaline il parvint à tenir un rythme soutenu dans jamais oser se retourner. Visant à passer entre les rochers qu’il voyait de part et d’autre de son champ de vision. Espérant ainsi éviter toute mauvaise rencontre.

Son esprit toujours embué par la folie, il n’entendit que tardivement des cris et des battements d’ailes qui semblaient venir de derrière lui. Sachant qu’il ne pourrait pas continuer s’il se retournait il imaginait simplement la horde partie à sa poursuite dès qu’elle avait remarqué son absence. Trébuchant sur le sol caillouteux, il leva les yeux vers le ciel, des masses sombres comme des nuages semblaient fondre dans sa direction. Continuant de courir les poumons enflammés par chacune de ses respirations il avisa que les nuages étaient en fait des tourbillons d’ailes et de griffes qui se croisaient et se mélangeaient dans un ballet macabre et mortel. Alors que tout espoir commençait à le quitter et que ses jambes ralentissaient leurs mouvements il vit devant lui une lueur plus forte que les reflets du soleil sur les chaines des autres malheureux. Une lueur aveuglante au ras du sol, toute proche de lui. Perdu pour perdu il s’élança avec ses dernières forces, son cœur battait si fort qu’il avait presque l’impression qu’il allait finir par s’échapper de sa poitrine et venir finir à ses pieds sur le sol poussiéreux. Les cris dans son dos étaient presque à sa portée et dans un dernier effort il se jeta en avant dans la lumière espérant que ce n’était pas un mirage et qu’il n’allait pas finir allongé sur le sol à la merci des créatures qui le poursuivaient.

Une lumière solaire l’enveloppa, il marchait dans un tunnel aucune peur ne l’habitait plus. Pourtant il se souvenait parfaitement des chaines, de la plaine et des créatures. Tout d’un coup son corps cessa de répondre et il s’effondra sur lui-même dans la bienveillante lumière.

Se réveillant il tenta de bouger ses mains mais les sentant entravées il se mit à hurler. Une voix tout proche de lui le fit sursauter.

-   Docteur ! Docteur, il vient de se réveiller ! C’est miraculeux, il respirait à peine.

Petit à petit dans l’esprit de Damien la plaine et les créatures disparurent, ne laissant que le souvenir du tunnel blanc, et le choc de l’accident qui l’avait plongé dans le coma et privé de son corps pendant de long mois découvrit il lorsqu’il put à nouveau parler et questionner le personnel médical.


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