Magazine Humeur

Ultimes écrits (Première partie)

Publié le 12 août 2014 par Corboland78

A quel moment ai-je perdu le contrôle de la situation, même maintenant alors que je tente désespérément de retracer le fil de mes dernières heures ou derniers jours - j’en ai perdu la notion du temps - je suis incapable de comprendre ce qui m’est arrivé. C’est peut-être ce qui m’est le plus pénible quand je sens que mes dernières forces m’abandonnent, après toutes ces épreuves endurées, ne pas savoir comment j’ai pu en terminer ainsi. Je gribouille ces quelques lignes dans le petit carnet qui ne me quitte jamais, où jadis je consignais mes réflexions ou idées pour mon blog, et qui va finir par devenir mon testament. 

Ce dont je me souviens clairement c’est de la panne d’électricité plongeant tout le quartier dans le noir. Je rentrais d’une sortie nocturne arrosée, certes, mais sans plus, n’y voyez pas cause et effet induit. Je suis entré dans mon immeuble et j’ai gravi l’escalier dans la pénombre totale, sans inquiétude particulière, j’étais chez moi et je connaissais les lieux, parvenu à mon étage, le dernier, donc je ne pouvais me tromper, j’ai introduit ma clé dans la serrure en me servant de ma seconde main pour mettre en relation l’une et l’autre. Le mécanisme m’a paru moins huilé que d’habitude, j’ai dû forcer un peu mais finalement la porte s’est ouverte. C’est à partir de cet instant crucial que tout se brouille dans mon cerveau.

Maintenant, tout ce qui va suivre, dépasse mon entendement. Je ne retranscris que ce que mes vagues souvenirs veulent bien m’en laisser. La porte refermée, j’ai immédiatement ressenti comme une chape de froid tombant sur mes épaules mais je n’ai pas eu le temps de m’en inquiéter que déjà mon esprit s’interrogeait sur une autre anomalie, ma minuscule entrée communique avec le salle de séjour droit devant moi, or devant moi il y avait un mur, agitant mon bras et tâtant la paroi, il s’avéra qu’un couloir partait vers la droite, long de plusieurs mètres. Où donc étais-je ? Un début d’angoisse m’étreint.

De l’angoisse à la terreur il n’y a jamais loin. Le parquet craquait sous mes pas ce qui aurait pu me rassurer en tant que bruit familier, sauf que bien vite le sol devint chemin de terre et le mur que je longeais y laissant ma main trainer, se fit paroi de caverne ou de cave. Une odeur forte de salpêtre m’assaillit les narines. J’avais une frousse bleue et la sueur perlait sur mon front malgré la température anormalement basse régnant en ces lieux. Je dis bien ces lieux, car à l’évidence je n’étais pas ou plus, chez moi.

Avec ce qui me restait de conscience lucide, l’idée de revenir en arrière me poussa à faire demi-tour mais il était dit que je vivais un cauchemar, alors que je rebroussais chemin je me heurtais à d’épais filaments, comme un filet poisseux et collant obstruant la voie que j’avais pourtant empruntée quelques minutes plus tôt ! Instantanément j’eus la révélation de sa nature, une énorme toile d’araignée. Rien que d’écrire le mot, les poils de mes bras se hérissent. Imaginez ma terreur. Non, n’essayez pas vous risqueriez d’y laisser la raison.

Je ne pouvais que continuer ma progression, sachant que dans mon dos se tramaient des choses innommables auxquelles je ne voulais absolument pas penser. Bientôt sous mon pied j’ai deviné que le chemin s’inclinait, descendant vers je ne sais quel abîme qui certainement deviendrait ma tombe. Entre une tombe éventuelle devant et une araignée certaine et de belle taille derrière moi, même transi de trouille, je n’hésitais pas, j’avançais pas à pas vers mon destin, éloignant ma main de la paroi, peu friand d’y frôler je ne savais trop quoi mais certainement répugnant.

Soit mes yeux s’habituaient à l’obscurité, soit le tunnel sans fin apparente s’éclaircissait. Couvrant les bruits de mon cœur battant à tout rompre, je crû discerner dans le lointain une sorte de mélopée triste, un chant monocorde et funèbre, une chorale gutturale sombre dont la tonalité allait en s’amplifiant à mesure que je m’en approchais. Désormais il ne pouvait plus y avoir de doute, là-bas « on » m’attendait. L’obscure clarté se fit plus franche, une faible lumière dansante se reflétait sur les parois du tunnel, comme les éclats de torches multiples. Après un large coude, le couloir déboucha sur une modeste place. Entre deux torchères éclairant atrocement ce lieu inconnu, une porte en bois massif aux ferrures anciennes.

Le chant, toujours aussi monotone et inquiétant était monté d’un ton, scandant un nom ad-libitum mais dont le sens m’échappait encore en raison de la porte close. Alors que je m’en faisais la réflexion, dans un long grincement sonore, le battant de chêne s’entrouvrit avec une lenteur calculée, laissant s’échapper volutes de fumées noirâtres et odeurs nauséabondes tandis que de gigantesques ombres noires comme la nuit se dandinaient dans l’entrebâillement et que le chant redoublait d’intensité à mes oreilles n’en croyant pas ce qu’elles entendaient.

Car ce nom scandé sans répit, comme une menace affolante, c’était…. Mon Dieu, ce n’est pas passible, faites que je me réveille au plus vite. Ooooh non ! Les voix rauques accélérant le tempo vociféraient mon nom ! Le chœur de moines démoniaques hurlait sans retenue « Corboland ! Corboland ! » et je peux vous certifier que je ne le pris pas pour une acclamation de joie, bien au contraire. Tétanisé et tremblant de tout mon corps, j’attendais la suite qui ne pouvait tarder.

Je ne fus pas déçu, si on peut dire. La porte désormais grande ouverte, le chant s’arrêta brusquement et ce n’en fut que plus terrifiant encore. Un silence sépulcral annonçant la catastrophe finale me coupa la respiration. Un bruit de pas humides et peu ragoûtant, une silhouette d’une maigreur effarante enveloppée d’une bure encapuchonnant son visage, apparût dans l’encadrement. J’en restais sans voix et je crois bien que mes derniers cheveux abandonnèrent le sommet de mon crâne, comme les rats quittent le navire juste avant qu’il ne coule…

A suivre…   


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