(c) Momo fait de la photo
Il s'enorgueillit d'être "l'un des plus beaux villages de France" ce qui, à mon avis, n'a pas grand sens. Est-il seulement possible de comparer le Quercy avec le Pays Basque ou l'Alsace et de rassembler en cette seule et même appellation, d'une platitude confondante, des architectures dissemblables et des géographies différentes ? Qu'importe, Rocamadour, n'en possède pas moins une vraie beauté, voire même un souffle de majesté à rester ainsi accroché à flanc de falaise, dominant de ses pierres grises et blanches la vallée de l'Alzou, un sous-affluent de la Dordogne. Il s'est perché volontairement, à la fois pour retirer des griffes du Prince de ce monde des hommes en oraison, et puisque pour avoir la paix, il faut préparer la guerre, son regard pouvait alors embrasser les Causses jusqu'à l'horizon.
D'origine moyenâgeuse, Rocamadour est très logiquement édifié en trois étages : le premier, près de la rivière, était celui des paysans et des artisans besogneux, dont les logis de terre et de torchis se serraient frileusement les uns contre les autres. Proximité de l'eau et terre fertile, il n'en fallait pas plus pour que s'installe un monastère, que les mains industrieuses des tailleurs de pierre installèrent au-dessus du village, plus près de l'air et de l'éther. Il reste aujourd'hui une chapelle et deux églises, agrippées au rocher. L'une d'elle abrite la fameuse Vierge noire, petite statue de bois toute simple et presque rabougrie, enchâssée dans une robe de lames d'argent qui concoure certainement à ce qu'elle ne tombe pas en poussière. On dit qu'elle fait des miracles, qu'elle guérit sinon les corps, du moins les âmes. Sa réputation était telle que dès le XIIème siècle, les pèlerins se pressèrent à ses pieds, implorant miséricorde. Henri II d'Angleterre, le premier des Plantagenêt, époux d'Aliénor d'Aquitaine, y vint en 1159 lui demander santé. Elle lui fit grâce, car il vécut encore trente ans...
Au sommet de Rocamadour s'élève le château. Il fallait aux chevaliers dominer la plaine, les vilains et les clercs. Il ne subsiste rien de la construction médiévale : les années et le désintérêt, mieux que les boulets de canon, ont fait leur œuvre jusqu'au XIXème siècle, époque où la France s'est enfin occupée de ses monuments historiques, confiant au passage cette cité mariale aux bons soins des autorités ecclésiastiques qui... ne se firent pas prier.
Même si les miracles n'ont plus cours aujourd'hui, sauf pour encourager les foules au culte de la personnalité, il reste à Rocamadour un esprit, presque une petite magie qui s'attache à ce lieu vénérable où des centaines de milliers de pèlerins sincères, inspirés, posèrent leurs pieds fatigués au fil des siècles. Le vent joue avec le soleil le long des murailles, dont on dit que l'une d'entre elle porte encore l'empreinte de Durandal, la fameuse épée de Roland. La légende raconte que juste avant de périr à Ronceveaux, Roland l'aurait lancée au loin pour qu'elle ne soit pas saisie par les Sarrasins. Elle serait venue se ficher dans le mur de Notre-Dame de Rocamadour.
Mais tout ceci est bien fini, et seules les cohortes de touristes, échappant miraculeusement aux griffes des commerçants avides, gravissent en soufflant les 260 marches du village, celles-là même qui élevaient si péniblement mais avec tant d'enthousiasme les "roumieux", les marcheurs du Moyen-Age, vers la rédemption de leur âme. Cependant, du haut de la plus haute tour du château, les jours de beau temps, on peut admirer les aigles qui tournoient en contrebas. Ils sont bagués, répertoriés, mais libres. Leurs ailes immenses, aux rémiges étendues comme des doigts, portent loin les rêves du promeneur qui les observe, muet de saisissement. Il lui suffit alors d'un peu d'imagination pour partir avec eux, tel un petit Nils Holgerson, vers ces anciens horizons à jamais abandonnés mais dont le souvenir l'habite. Le ciel bienveillant relie d'un même trait bleu tous les rivages du monde.