Pause déjeuner, nous sommes au resto bobo du coin, Six fruits et légumes. Nathalie est en pleurs devant moi. Ce n’est ni son bagel pavot au saumon ni sa soupe quatre saisons qui lui arrachent les larmes aux yeux mais ce qu’elle me confie : elle a découvert que son mec regarde Youporn en secret. En cachette, je ne suis pas si sûre, c’est ce qu’elle dit. La tromperie pour moi est plus liée à l’espionnage de la femme que le matage du mari. Il n’a effacé aucune des traces de ses navigations X sur son ordinateur, me confie-t-elle, « tu t’en rends compte ? Et puis, moi, à vrai dire, je n’ai jamais cherché à savoir. Ce qu’il fabriquait avant de venir au lit. Se laver les dents ou la queue. Mais hier après-midi, il était parti à la chasse… » (j’apprends avec étonnement que si le mari de Nathalie pratique les autoroutes du porno, il est néanmoins une espèce en voie de disparition : il possède une carabine aux cartouches longues de cinq centimètres, tient-elle à préciser, quelle virilité, et oui, il est abonné au Chasseur français…j’hésite à lui demander s’ils se sont rencontrés par le biais des annonces du magazine mais Nathalie est en train de me confier sa vie sexuelle…en tant que lesbienne de service, je suis sensée être une oreille libre, libérée et non intrusive). «….ce jour-là, je n’avais pas eu spécialement envie de voir des chevreuils se faire tuer dans la forêt de Fontainebleau. J’écoutais France Cul d’une oreille, je n’avais rien à faire. Ca parlait des pannes d’ascenseur et de la ligne d’écoute mise en place pour répondre à tous les scénarios catastrophes. Par exemple, des gens dégringolent de dix étages, ils appellent l’ascenseur, les portes s’ouvrent mais l’ascenseur n’est pas monté. Confiants, ils entrent…et chutent. Bref je m’ennuyais, c’était dimanche. J’ai soudain eu envie de voir ce qu’il fabriquait le soir dans son bureau, avant de me rejoindre. Tu vois, l’excitation de pousser la porte qui est interdite. J’ai ouvert son ordi, j’ai consulté l’historique et je suis tombée sur des scènes de baise à trois. » Moi, je ne sais pas ce que je trouve ici le plus obscène. Le mari qui se branle à la lumière de chevet avant d’aller culbuter sa femme ou ma collègue choquée des sept petites minutes, pas plus j’imagine, c’est le moyenne de visionnage d’un film x, que s’accorde son mec pour exciter ses sens. O misère sexuel, ô misère du couple ! J’aimerais rire, à la place je compatis. Je la console. Voilà qui va relancer leur dynamisme conjugal ! Quoi de plus excitant que le voyeurisme, non ? Je lui conseille de se toucher lorsqu’elle regarde par le trou de la serrure son chasseur, il s’appelle comment déjà ? ah oui Francis, bref quand elle mate Francis mater. Femme fontaine, elle pleure de plus bel. J’ose à peine imaginer comment elle est au lit. Alors, entre deux de ses mouchages dans sa serviette parsemée de grains de pavot, je lui confie mes déboires. Rien de mieux que raconter ses propres malheurs pour remonter le moral de l’autre. Il n’en voit que le ridicule, comment peut-on se prendre la tête pour si peu ?, il en oublie presque ses misères. Je finis à la paille les restes de mon cocktail rouge sang, betterave mandarine et grenade. Nathalie attaque son dessert d’un bon coup de cuillère. Son mascara a légèrement bavé. La coulée noire accentue la pâleur de sa peau parsemée d’éphélides. Elle me fait penser à Eva Green, cette actrice française qui retourne le cœur de James Bond. Comme elle, Nathalie est une rousse qui se teint en brune. Comme elle, sa beauté se révèle quand elle est bafouée. Humide et chaude. Je dérive. Je me reprends. Je lui dis que nous, la baise, c’est toujours aussi formidable, Mathilde s’est rapidement remise de l’accouchement. Par contre, on fait lit à part et on ne se parle plus depuis un mois. Notre propre sexualité nous est devenue clandestine. Et oui, c’est possible ! Ce sont les moments où l’on file au grenier, complices, on baise furieusement sous les combles puis on retourne à l’appartement où l’on se fait la gueule.
- Mais pourquoi ?
- Je refuse de parler à Mathilde depuis qu’elle a embauché une sorte d’alcoolique pour garder les petites, elle ne veut pas céder à mon intolérance butée.
- T’es jalouse ?
Le serveur nous apostrophe et nous demande s’il peut débarrasser nos plateaux vides. Oui, bien sûr. Il est 14h passés. Après le rush des sorties bureau, le resto des six fruits et légumes est comme déserté.
- Non, je ne crois pas. Je n’aime pas l’intrusion d’un étranger chez moi, un mâle d’autant plus. Je n’aime pas qu’elle ait décidé, seule, ce qui concerne notre espace partagé et nos enfants…
- Et pourquoi tu ne lui fais plus confiance ?
- A qui ?
- Mais à Mathilde bien sûr.
- Je ne sais pas. Bonne question. C’est peut-être comme toi avec Youporn. J’y vois une trahison.