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Petite chronique provençale...

Publié le 19 août 2014 par Arthenice
Il m'arrive aussi parfois d'écrire de petites historiettes totalement imaginaires (cf aventures de Théonie) ou alors inspirées par des détails de ma propre vie. Celle-ci fait partie de cette dernière catégorie, du vécu donc enfin en partie, après je brode...

Le jardin extraordinaire


L'histoire se déroule dans les années 80. Caroline avait loué un vieux moulin érigé sur une colline près du village. Une vieille cité provençale de carte postale dont les ruelles pavées s'enroulaient nonchalamment autour d'un promontoir juste en face du moulin.
La propriétaire des lieux, Léoncie, possédait trois fermes dispersées autour du village. Le "Bercaïou" une bastide où elle vivait.
Puis l'ancienne magnanerie " La senancolette" avec son moulin et ses anciens ateliers transformés depuis peu en locations saisonnières.
Et enfin "Le Pré du Seigneur", un bout de terrain au pied de la colline; une maisonnette du XVIIIème siècle entourée d'un jardin luxuriant que Léoncie entretenait jour après jour et par tous les temps avec énergie pour le plus grand plaisir de ses résidents qui venaient s'y approvisionner en légumes de saison.
Caroline arriva le matin même en gare d'Avignon. Puis elle prit place dans un bus brinquebalant avec armes et bagages.
Après trois quart d'heure de montée vers les hauteurs arides, le vieux véhicule s'arrêta sous la ramure ombragée des platanes de la place du village. Léoncie était venue attendre sa locataire. La vieille provençale se tenait droite comme un i, près de la fontaine; les bras croisés sur son tablier à motifs bleus, un chapeau de paille vissé sur la tête. Après les salutations chaleureuses d'usage, les deux femmes montèrent à bord d'une antique 2 CV qui les transporta jusqu'au moulin.
Caroline eût tôt fait de s'approprier l'endroit, idéal pour les activités qu'elle avait prévues. Elle allait enfin réaliser cette série de tableaux sur le thème des bories que lui avait commandé un ami de longue date, qui exposait régulièrement ses oeuvres dans sa galerie aixoise.
Elle attaqua une toile sans attendre. Elle avait revêtu sa tenue de combat. Une vieille chemise de lin aux manches roulées, maculée de tâches de peinture par dessus un short en jean's tout aussi usagé. Elle peignit sans relâche toute la journée puis la nuit qui suivit. Accompagnée par le chant lancinant des cigales qui le soir venu laissait place brutalement à la douce mélopée des grillons.
Le surlendemain, il fallut se rendre à l'évidence. Le frigo était vide.
Tôt le matin, elle descendit le chemin pierreux en direction du Pré du seigneur; elle trouverait certainement là de quoi réaliser de gargantuesques salades.
Léoncie était déjà à pied d'oeuvre, l'arrosoir à la main.
Caroline s'émerveilla! Il poussait dans ce petit jardin les plus beaux légumes que la nature pouvait produire. Les mêmes que sur les toiles d'Arcimboldo!
Des rames de haricots verts à n'en plus finir. Des aubergines luisantes et dodues, des courgettes savoureuses, sans parler des tomates de toutes les variétés possibles. Mais ce qui frappa le plus Caroline, c'était la taille démesurée des légumes...
-"Goûtez-moi ces courgettes ce soir, revenues dans un filet d'huile d'olive, avec un peu d'ail; elles sont tendres comme de la rosée, vous m'en direz des nouvelles!"
s'exclama Léoncie d'un petit air conspirateur qui intrigua la jeune femme...
Le soir même elle exécutait la simple recette. Le résultat fut à la hauteur. Un vrai délice dans toute sa simplicité. La chair de cette courgette aux dimensions hors-norme fondait délicieusement dans la bouche. C'était décidé, Caroline ferait une orgie de légumes pendant son séjour. Il y avait là de quoi se refaire une santé.
Dès lors elle se rendit chaque matin dans le potager de Léoncie. Elle revenait les bras chargés de légumes frais et croquants.
Midi et soir elle les dégustait avec bonheur et en profita pour expérimenter toutes sortes de plats suggérés par Léoncie. Des soufflés légers comme l'air, des tians moelleux, des soupes au pistou savoureuses, des gratins fondants...
Dans le même temps son travail pictural avançait à grands pas. Il lui semblait que plus son appétit envers les légumes grandissait, plus son inspiration s'accentuait. La beauté de ses toiles jaillissait de jour en jour.
L'ami d'Aix débarqua un beau matin de juillet.
Quand il découvrit les tableaux il tomba à genoux, muet, hébété...
-"C'est miraculeux...magnifique...il n'y a pas de mots assez forts pour...qualifier ton travail"
Il se précipita vers Caroline pour la serrer chaleureusement dans ses bras.
Le soir venu, alors que l'ardeur du soleil commençait à faiblir, et que le chant des cigales s'était tu, l'artiste et son ami descendirent d'un bon pas vers le Pré du Seigneur.
-"Tu vas voir ces légumes!" lui dit-elle enthousiaste..
Léoncie, infatigable, binait la terre au pieds des plants de melons.
-"Alors ma belle que voulez-vous pour le dîner de ce soir? Je vous popose des aubergines. Vous les coupez en tranches fines puis vous déposez un petit morceau de jambon italien surmonté d'une tranche de mozarella. Vous enroulez le tout, vous piquez, une larme de sauce tomate et vous enfournez..."
-" Dites-moi Madame ce n'est pas donné à tout le monde de cultiver d'aussi beaux légumes...Vous avez bien au moins un petit secret à nous révéler?" se risqua à demander l'ami de Caroline. Cette dernière écoutait distraitement tout en empilant les fameuses aubergines dans son panier.
-" Ah ça mon bon monsieur!" s'esclaffa Léoncie "C'est qu'il faut y être matin et soir, arroser et encore arroser et puis gratter la terre sans relâche...et puis j'peux bien vous le dire à vous, c'est qu'ya du monde là-dessous!" ajouta t’elle avec un éclat de malice dans l'oeil.
Le couple échangea un regard dubitatif.
-"Comment ça du monde?" questionna Caroline prenant soudain conscience de la tournure étrange de la conversation.
Léoncie essuya ses mains terreuses sur son tablier, puis elle s'approcha du couple. D'un air entendu elle murmura:
-"Ben ya un genre de cimetière là-dessous!"
-"QUOI?" interrogea Caroline
Les mains sur les hanches, Léoncie poursuivit dans un souffle
-"C'est à cet endroit même qu'on les enterrait lors de la grande épidémie de 1720…"
Caroline et son ami pétrifiés demandèrent en choeur -"Et une épidémie de quoi?"
-"La peste noire" déclara Léoncie l'air espiègle. "Mes légumes poussent sur un ancien charnier de pestiférés!...Vous comprenez à présent mon petit secret!"
En effet il fallait se rendre à l'évidence, sous le feuillage des légumes s'étalait un bel humus noir et fin, un rêve de jardinier...
Caroline sans piper mot régla le montant de son dû, puis hésita avant de saisir son panier, partagée entre le dégoût et l'effroi. Ils remontèrent sans un mot jusqu'au moulin et jetèrent les légumes dans le bac à compost... Petite chronique provençale...

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