Il porte bien sans prendre tellement soin de sa personne, peu attaché aux frivolités de l’apparence, à peine conscient d’avoir de nature une élégance simple et une belle allure. Il fait attention aux autres autant qu’à lui, à l’aise avec le faible comme avec le puissant, auxquels il sert les mêmes paroles. Il se souvient des visages et des prénoms et demande si l’on va bien en écoutant la réponse. Il a aimé plusieurs fois une femme à la fois. On le côtoie sans le courtiser, on rit parce qu’il est drôle, on l’aime parce qu’il ne cherche pas à séduire. Il offre et partage sans compter, surtout le nécessaire, pour la joie d’avoir perdu à donner. Il croit que vaincre les déceptions, les colères et les dettes renforce l’amitié sans la gangrener. Il se trouve limité, différent, imparfait, et sur le bon chemin. Le regard des autres lui renvoie de la tendresse, de l’admiration, de la confiance. Il est riche.
Il est toujours bien mis, travaillant sa posture, homme d’étincelles brillant dans la nuit, invisibles de jour. Empaillé dans un costume, il récite des mots d’esprit au milieu de courtisans qui flattent ses avis. Il parle fort de tout et surtout de rien, il donne ce qui ne le prive pas, il déguise ses emprunts en grâces et faveurs. Il apprécie la compagnie des autres tant qu’elle ne contrarie pas ses vues, il se moque de tout mais jamais de lui. Il a des connaissances mais pas d’amis, il aime toutes les femmes mais aucune en particulier, car il ne s’attache pas de peur de s’encombrer. Les yeux qu’ils croisent ne lui renvoient que son reflet. Jamais il ne regarde en lui-même pour ne risquer de tomber dans le gouffre de sa vacuité. Il ruse, ment, trompe et plaît à ses semblables. Il se croit beau, puissant, entouré, mais de se voir si loin au-dessus des autres, il se retrouve seul. Il est pauvre.
(Lointainement inspiré de Giton et Phédon, dans les Caractères de La Bruyère - 1688)