Écrivain ?

Publié le 29 août 2014 par Dandy @dandy___candy

L’autre jour je croise un type dans le métro qui me demande ce que je fais dans la vie. J’hésite. Je porte un jean, des baskets, une chemise bleue impeccable, dans mon sac en cuir un Mac à deux-mille balles. Je comprend qu’on se pose la question. Je me la pose aussi. J’ai envie de répondre que je suis écrivain. C’est bien écrivain, ça pose un bonhomme. Si je répond ça, il va me demander ce que j’ai écrit, ce que j’ai publié, et je vais répondre : rien encore mais bientôt, j’espère. Il va penser que je suis un abruti de fils à papa qui ne fait rien de ses journées. En même temps, que ferais-je dans le métro à neuf heures du matin si je ne foutais rien ? J’essaie de gagner du temps, je réponds que je fais beaucoup de choses, il m’emmerde avec ses question, j’ai envie de lui demander ce qu’il fait lui, et pourquoi il me pose la question, mais il a la primeur, c’est lui qui a attaqué, alors j’essaie de trouver quelque chose de cohérent. Ecrivain ? Il va me demander mon nom, et me répondre que ça ne lui dit rien. Evidemment que ça ne lui dit rien. Et qu’est-ce que j’ai écrit ? ça non plus, ça ne lui dira rien, tu parles.
Alors je m’apprête à lui répondre cette espèce de truc fuyant que je sors tout le temps : consultant, le truc qui ne veut rien dire, et qui ne donne ni un statut positif, ni négatif, qui n’est ni vrai ni faux, et à ce moment là je me retrouve — je ne sais comment — dans une sorte de bar glauque, genre bouge des années cinquante. Et là je me dis : ouais, tant qu’à faire d’être au siècle dernier, ouais, je suis écrivain et j’ai une vieille machine à écrire à deux couleurs, une américaine, une REMINGTON. Mais ce coup-ci c’est Rimbaud qui me pose la question, et j’ai aucune foutue idée de ce qu’il fout là, à cette époque. Je vais quand même pas lui dire à lui que je suis écrivain, ça la fout mal. Il a dix-sept ans, il est sûrement con comme un ado, mais il écrit comme un homme, imagine qu’il lui vienne l’envie d’arrêter d’écrire. Mais il a l’air de s’en foutre, là il veut qu’on aille boire un whisky, on verra ça plus tard. À moins que ce soit moi qui aie proposé le whisky, je ne suis pas formel sur ce point précis du récit. Toujours est-il que c’est à ce moment-là que je me suis réveillé, et que j’avais raté ma station de métro, et qu’il allait bien falloir que je me rappelle ce que je faisais dans la vie, car j’étais à la bourre pour aller gagner ma croute, et pour écrire mon roman.