Notes en chemin (120)
Contre l’utilitarisme.- Nous nous indignons de concert, ce matin, au breakfast que nous partageons avec Robert dans la cuisine de l’arche séculaire d’Almens dont la table à plateau vert se dit Tisch ou tavola, contre l’imbécile remarque récente d’une députée UDC argovienne affirmant que l’apprentissage du français n’est plus nécessaire dès les petites classes, comme le veut la pratique confédérale, au motif que l’usage du français n’est utile qu’à des élites. Or cette notion d’utilité, dans un sens d’efficience à l’américaine, trahit la pauvre vue pragmatique et centralisatrice des populistes alémaniques impatients de discipliner ces étourneaux de Latins.
Ist es so nötig, dass Robert Indermaur mit mir vom Anfang auf französisch spricht ? Davvero, lo vedo ovviamente felice di parlar francese ! Et du coup je me rappelle la mise en garde de Dick Marty, politicien suisse et grand juge des plus estimables et lucides, qui déplore la dégradation du multilinguisme helvétique à tous les étages de la société, jusque chez les conseillers nationaux qui ne s'entendront bientôt plus qu'en anglais...
L’alibi de l’élitisme. – Hier soir, dans la bibliothèque de la fée des lieux, ancienne libraire, j’ai relevé la présence du livre de Joël Dicker traduit en allemand, et ce matin à l’éveil j’ai repris en allemand la lecture des Leute von Seldwyla de Gottfried Keller, cet autre grand démocrate suisse, auteur du génial Henri le vert évidemment traduit en russe mais peut-être pas en romanche – il faudrait vérifier.
Robert Indermaur le Grison ne parle pas le romanche avec ses enfants – je l’ai aussi vérifié -, mais c’est un autre problème que celui de la défense du multilinguisme helvétique, même si la préservation du romanche en participe évidemment.
Par delà les chauvinismes locaux ou les frissons identitaires, ce qui compte à mes yeux est de maintenir à tout prix l’exercice et l’expérience unique d’une culture composite non centralisée, dont le multilinguisme est une base. Taxer d'élitisme l'apprentissage même de la diversité est d'une myopie de taupe à oeillères de bois. I really do like english very match, mais l’impérialisme d’une prétendue nouvelle lingua franca, maquillant une pensée unique et une culture purement utilitaire: no thanks.
Telle étant la reconnaissance du génie d’un lieu : d’affirmer qu’il n’a nulle part ailleurs son pareil…