Le clochard, la lavande et le cèpe

Publié le 31 août 2014 par Desfraises

Photo : Thomas Claveirole - Flickr Creative Commons
Une laverie automatique près de la rue Daguerre. Des citadins allant au lavoir. Âme en peine jouant sur mon téléphone, j'attends. Autre âme en peine, un clochard à la barbe hirsute mais avec de beaux restes, débarque, pose un sac de courses et me demande à passer un coup de fil. Allez ! Une minute, seulement. Je te paye l'appel, implore-t-il en fouillant ses poches pour me tendre une poignée de pièces. Hochant mécaniquement la tête, je décline sa demande. Il rouspète, se retourne vers la dame pliant son drap de lin, essuie la même indifférence. Se munissant de sa canette de bière comme pour se donner du courage, il sort et aborde un couple de passants, même refus. Un ouvrier en bras de chemise, même refus.
Je jette un oeil furtif à son sac de courses. Un pot de lavande en terre arborant quelques fleurs. Un flacon de miel et un cèpe dans un petit sachet blanc. 
Je sors pour retrouver mon clochard qui accoste tout ce qui bouge au carrefour d'à côté. Bredouille, il revient sur ses pas. Je l'aborde. Donne-moi le numéro et j'appelle, lui dis-je. Son visage s'illumine. Il me sort un bout de papier tout chiffonné et me dicte les dix chiffres en-dessous desquels figure un mot : coeur. 
Allô. J'appelle de la part de Philippe. Il vous attend. 
Pendant ce temps il me confie son ancienne vie. Comment il va cuisiner son cèpe. Comment l'amie que nous avons appelée va devenir sa femme. Etc. 
Elle le rejoint. Elle me remercie en me secouant énergiquement la pince. Il lui tend le pot de fleurs. Elle se moque tendrement : "Toi, tu ne sens pas que la lavande."