Le crime récompensé !
Après 250 ans d'amnésie collective, un monument sera bientôt dédié aux Caraïbes, peuple autochtone de la Martinique, exterminés en 1658 au cours d'un épisode méconnu, oublié, mais inscrit en lettres de sang dans les pierres de la chapelle de Fonds St Jacques. Voici l'histoire du génocide des Amérindiens de Madinina, qui a permis qu'on la bâtisse !Le Domaine de Fonds Saint Jacques :
L'authentique mausolée des Caraïbes
Le domaine de Fonds Saint-Jacques, situé à Sainte Marie, commune du nord atlantique de la Martinique, témoin du prestigieux passé de la distillerie du est le théâtre où s'est scellé le destin tragique des Amérindiens autochtones, les Caraïbes, peuple jusqu'alors libres et souverains de Madinina.
Les historiens rapportent que Blancs et Caraïbes vécurent dans une relative convivialité jusqu'en 1639, Duparquet ayant à cette date signé avec eux un traité de paix qui partageait l'ile en deux et attribuait La Capesterre, sur la Côte atlantique aux autochtones, contraints d'accepter que les blancs s'approprient le reste du pays. La paix, fragile, mais réelle existe jusqu'en 1654.
Le R.P Dutertre et l'historien Armand Nicolas ne manquent pas de souligner la peur qui tiraillait les colons, du fait que leur nombre (250) était insuffisant malgré leurs armes redoutables contre les 3000 originaires de l'ile. Leur comportement suscita la méfiance des Caraïbes qui, après un accueil fraternel, réagirent à leurs exactions. qui ne manquèrent pas. Les révoltes de St Vincent, de la Dominique et de Guadeloupe, théâtre du premier massacre d'Amérindiens en janvier 1636, étaient connues d'eux. Les colons ne pouvaient oublier que, de toutes parts, des Caraïbes coururent se joindre à ceux de Madinina pour assiéger St Pierre en 1636. De plus, les Caraïbes recueillaient et aidaient les esclaves noirs en fuite. Autant de griefs que firent valoir les colons et particulièrement ceux qui souhaitaient agrandir leur territoire, afin de passer de la culture maraichère à la culture à plus grande échelle de la canne à sucre. Il leur fallait pour cela, récupérer la Capesterre.
Un jour de 1658, un bateau de colons, vint accoster en terre Caraïbes et y pénétra, en violation des accords de paix. Les autochtones tuèrent les trois hommes restés sur le bateau. Cet évènement raviva la terreur des Colons et aussi celle des Caraïbes qui, afin de préserver la paix, déléguèrent à Saint Pierre une quinzaine des leurs, menés par Nicolas, " le plus fameux, le plus vaillant et le plus redouté capitaine de tous les sauvages ", nous dit le RP Du Tertre, pour assurer les colons qu'ils n'étaient pour rien dans ce massacre et qu'ils souhaitaient le maintien du traité de paix signé en octobre 1657. Les Colons acceptèrent l'offre, assurèrent les Caraïbes de l'immunité. Les deux camps se séparent sur un accord de paix.
Mais un des français, nommé Beausoleil, " homme cruel et furieux " nous dit-on, vit là une occasion d'en finir une fois pour toutes avec ces sauvages qui entravaient la conquête totale et définitive de l'ile. Il rassembla une troupe d'une soixantaine d'hommes armés qui surpris et massacra toute la délégation désarmée et probablement ivre d'Amérindiens, au cours d'un guet-apens. Leur chef, Nicolas mourut en guerrier. On raconte comment, blessé, il plongeait pour prendre des pierres qu'il lançait à ses poursuivants. Traqué dans l'eau, il fut finalement rejoint et tué dans la mer entre St Pierre et le Prêcheur, au lieu baptisé depuis " le Tombeau des Caraïbes ". Ainsi naquit la légende qui voudrait que ce soit à cet endroit que les Caraïbes de la Martinique se soient suicidés collectivement en se jetant dans le vide et en criant " La montagne sacrée nous vengera ! ".
Fort de cette " victoire ", Beausoleil galvanisa les colons et poussa l'Assemblée des Habitants à déclarer la guerre aux Caraïbes. C'est ainsi que sans avertissement, une troupe de 600 hommes armés, " tous très vaillants " nous précise-t-on, débarque en Capesterre. Pris de surprise, privés de leur chef et de soldats, les autochtones furent massacrés comme le rapporte sans état d'âme le RP Dutertre " Nos Français, au lieu de les poursuivre, s'arrêtèrent à bruler les carbets, tuant sans aucune considération de l'âge ni du sexe tous ceux qu'ils rencontraient... Cependant, ceux qui se purent sauver de ce désastre s'embarquèrent avec les autres dans leurs pirogues et se retirèrent les uns à Saint- Vincent, les autres à la Dominique ".
Le RP Boulogne, de l'ordre des Dominicains, membre de la troupe, avait participé activement à l'action, et " ...après une petite exhortation aux soldats il leur donna l'absolution,il y planta la croixet les armes de Sa Majesté Très chrétienne y furent mises ensuite, après quoi l'on chanta le Te Deum en action de grâces d'un si heureux succès" . Pour sceller cette victoire et récompenser le prêtre qui avait sur l'heure accordé l'absolution aux auteurs de ce pur massacre, Mme Duparquet lui fit don sur les lieux de 230 ha de terre, où il fut bâtie une église baptisée " Saint Jacques ", en l'honneur de Jacques Duparquet, ancien gouverneur de l'île et feu époux de la donatrice.
Samedi dernier, la compagnie " Trass la " de La Sosso danse devant la chapelle, en hommage aux Ancêtres Caraïbes et AmérindiensC'est ainsi que " la paisible possession de toute l'île de la Martinique demeura aux François vers la fin de l'année 1658". Par la suite, les Caraïbes qui avaient échappé au massacre pour se réfugier sur la Caravelle et à Ste Anne furent à leur tour chassés et leurs places occupées. Dès 1658, le père de Loubieres de l'ordre des Jésuites installe un fortin autour duquel se forme une agglomération qui prend le nom de Sainte Marie en l'honneur de la Vierge du fortin. En 1701, l'abbé Pinson de passage dans l'île, note que " on ne voit point de Caraïbes ou naturels du pays " où on ne recense plus officiellement leur présence.
Cette version de la disparition totale des Caraïbes ne fut jamais démentie par ceux qui ne souhaitaient pas que les légitimes propriétaires de la terre de la Martinique puissent la revendiquer un jour. Mais de plus en plus de voix s'élèvent aujourd'hui dans le pays, pour revendiquer un ancêtre Caraïbe, dont la famille a gardé le souvenir.
Un musée leur est consacré à Fort-de-France. Il a même lancé une campagne sur le thème " Et si vos ancêtres étaient Amérindiens ? ". Ainsi a-t-elle commencé le recensement de ceux qui revendiquent leur branche Caraïbe, et, à travers eux, les Caraïbes qui, selon toute vraisemblance, sont toujours avec nous. En nous...
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J'ai écrit ce texted'après " L'histoire générale des Antilles " du RP. Du Tertre et " Histoire de la Martinique " de l'historien Armand Nicolas, à la demande de Yvette Galot, directrice de Fonds Saint Jacques devenu aujourd'hui, centre de rencontre. J'en ai donné lecture au cours de l'extraordinaire cérémonie qui s'est déroulée samedi dernier, dont je vous parlais ici... et que je vous raconterai demain.