Les grands principes ont ceci de bon qu’ils peuvent se révéler d’un usage très souple. On peut les oublier au fond du tiroir du bas de la commode, les négliger comme une vieille chaussette usée jusqu’à la corde ou même les ignorer superbement lorsqu’ils deviennent trop encombrants. Si, grâce ou à cause d’une éducation rigoureuse et sévère, des hésitations ou des embarras viennent à troubler la quiétude de votre entendement alors que vous vous préparez à sauter le pas et à transgresser les règles sacro-saintes que vous vous étiez fixées, sachez que de nombreuses possibilités s’offrent à vous pour apaiser votre conscience ainsi malmenée. Il vous suffira de laisser libre cours à votre imagination ; elle se révèle toujours en la matière particulièrement féconde. Il faut cependant toujours garder en mémoire le conseil de Marguerite Yourcenar : « C’est au moment où l’on se sépare de ses principes qu’il convient de se munir de scrupules ». Deux de ces empêcheurs de tourner en rond se laissent en effet difficilement contourner. Le fameux principe de précaution qui régit nos sociétés pusillanimes face à l’avenir et le principe de responsabilité qui taraude après coup jusqu’aux âmes les plus noires. Non seulement ils se font une guerre impitoyable mais ils voyagent généralement de concert, comme deux complices de vieille date qui se seraient connus sur les bancs de l’école communale. Le vieux bougon s’est interrogé. En vertu du grand principe de précaution, ne devrait-il pas se contenter d’arpenter paisiblement son courtil entouré de son chat, ses chèvres naines et ses pigeons et ignorer le monde ? Ou doit-il au contraire, en vertu du grand principe de responsabilité, y mêler son grain de sel et sa mauvaise foi, ses questions qui n’en sont pas vraiment et ses étonnements perfides ? En réalité, grâce ou à cause de l’avancée de l’âge, son côté mauvais garnement qui donne des coups de pieds dans la fourmilière s’impose chaque jour un peu plus. Il ne saurait donc renoncer au plaisir pervers de jeter des pavés dans la mare et de l’huile sur le feu, de mettre le doigt là où "ça fait mal" ou simplement de titiller là où se fait trop lourd l’esprit de sérieux. C’est pourquoi, après avoir envoyé ses derniers scrupules au diable vauvert, a-t-il décidé de revenir avec ses petites chroniques sans prétention. En se promettant, comme tout cancre qui se respecte, de faire des efforts en matière de mauvaise foi, sourires grinçants et autres pieds de nez au bon goût de la pensée unique en vigueur. Et peut-être ainsi le monde marchera-t-il un peu plus joyeusement vers son avenir toujours plus radieux.
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