Iconoclasme

Publié le 02 septembre 2014 par Jlk

Notes en chemin (125)

 

Suave obscénité. – Mais que dirait l’imprécateur de tout ça ? Vous imaginez Nietzsche débarquant dans ce mausolée à sa mémoire ? Vous vous le figurez devenu touristique attraction cinq étoiles ? Vous voyez Zarathoustra s’incliner poliment devant la pieuse procession des professeurs venus vérifier la platitude de sa Table et l’arrondi de son pot de chambre, sans parler de la multitude convoquée par les Tours Operators ? 

Voilà ce que je me demande en captant, au Samsung Galaxy III, ma propre image en surimpression de sa mortelle marmoréenne effigie. Et du coup me vient l’envie d’arracher et de lacérer - de jeter au feu de Dieu cette trop belle tapisserie !

Les enfants crèvent à Gaza  au nom du triple Unique Dieu se faisant la guerre à lui-même par furieux croisés interposés, et nous faisons du plus lucide contempteur de tout ça une momie sous verre, de son Inferno mental un chromo sulpicien…    

Silence : on acclimate. – À l’admirable petit musée Nietzsche de Sils-Maria (un petit musée ne peut être qu’admirable), on est prié de lire attentivement les coupures de presse des années 30 établissant, de docte source notamment juive, la non-responsabilité du philosophe Friedrich Nietzsche dans le soutien des nazis, au contraire de sa sœur Elisabeth, cette diablesse photographiée serrant la patte du Führer.

Tout cela est très bien : on est rassuré. Tout d’ailleurs dans le petit musée (l’admirable petit musée) est fait pour rassurer le chaland même nonchalant en ces matières, le guide du groupe de retraités de gauche de passage précisant que des textes du Maître prouvent son rejet du nationalisme, du racisme et de l’antisémitisme. Ce qu’on a fait de sa pensée est autre chose. Passons à l’étage voir sa chambre à coucher.

Le chemin de derrière. – Quant au lecteur du Gai savoir, qui sait que la contradiction à n’en plus finir est constitutive du génie nietzschéen, et que toutes les récupérations sont possibles à partir de là, il n’en finit pas, lui non plus, de prendre le chemin de derrière qui mène aux rochers grisons ou grecs et à la lumière, le chemin de l’éternel CONTRE, le chemin de colère et d'amour du Christ et du doute, le chemin des grands bois philosophiques et des échappées de la poésie qui ne s’arrêtera pas au trop beau Panorama, autre semblant décrié par ce râleur mal coiffé de Schopenhauer.

L’aube et la fin de journée, à Sils-Maria, ne sont cotés ni en Bourse ni affiliés à aucune école de pensée. Le chemin de derrière, passé l’angle de la maison du philosophe, accède aux promontoires d’où se découvrent les petits lacs d’azur, miroirs du ciel, et les îles boisées, refuges des rêveurs. De là-haut, apaisé, reconnaissant, on se dit que la beauté du monde n’est pas qu’une illusion...