Et pourtant... ce sont les derniers mots de mon manuscrit, des points de suspension qui laissent planer le doute, la menace, l’ombre ou au contraire, la synchronicité, synthèse de tout ce qui aura précédé. Possibilité d’une suite. Un troisième tome qui se sera pas plus "tome" que ce deuxième roman, cette sorte de suite aux Têtes rousses. Parce que monsieur le juge en a décidé ainsi dès notre première rencontre. Et pourtant… les tomes sont populaires. Trop risqué peut-être.
Six ans pour le premier, quatre pour celui-ci (et encore il n’est pas publié). Combien pour le troisième, si troisième il y a. Ce serait si facile de terminer par un point. Ne rien m’imposer, à moi si friande de liberté et si réfractaire aux obligations, surtout que je n’ai plus de patron ni de parents, donc plus de devoir-s.
Mais je sais que je laisserai ce « Et pourtant… » comme on dit au revoir et non adieu. Pour ne jamais fermer la porte, pour ne jamais dire c’est fini, pour défier la mort et la vie. Pour croire aux lendemains.
J’ai relu les derniers paragraphes et les premiers de chaque chapitre pour bien vérifier cette conclusion qui donne envie de revenir et cette transition qui donne envie de poursuivre. J'ai relié quelques chapitres pour un meilleur équilibre, oui, oui, monsieur le juge, avec transition. Pour les fins de chapitres, dosage délicat qui ne doit pas ressembler aux séries policières. Je ne veux pas les chutes Momorency, ni même une cascade bruyante, mais je sais bien que les rivières tranquilles, ça n’intéresse personne. À part moi, bien sûr, qui a passé l'âge des montagnes russes. Et pourtant, je viens de franchir le Yukon et l'Alaska, mais bon, pas rapport.
Commencée en avril dernier , la preuve un billet parmi quelques-uns >>>, l’ai-je donc terminée cette refonte? Est-il prêt à partir, ce manuscrit? L’éditeur verra-t-il la différence? Est-elle suffisamment notable cette différence? Sera-t-il dans des dispositions pour accueillir ce manuscrit qui n’est toujours qu’un récit linéaire, seule demande que j’ai rejetée. Je n’ai pas le talent de mêler tous les événements, de les jeter sur le papier sans tenir compte des dates et qu’en plus, le lecteur s’y retrouve. Linéaire donc, c’est resté. Mais votre honneur, je jure que j’ai retravaillé tout le reste, que j’ai examiné point par point vos demandes, vos observations, vos annotations et que j’ai soigneusement, vaillamment, patiemment, courageusement tout révisé.
Alors pour cette rentrée littéraire de 2014 (c’est une rentrée, mais les livres sortent des imprimeries et des librairies, bof, qu’importe), puis-je vous poster mon manuscrit qui, j’espère sera de la prochaine rentrée, celle de 2015 ? Dites-oui, s’il vous plaît, votre honneur, monsieur le juge des romans!
Et pourtant… j’ai peur. Je doute, je me demande si je ne vais pas retarder encore. Attendre encore. Relire encore. Je suis toujours trop vite, on me l’a dit toute ma vie.
Et si… Quand on est attendue (mais sans contrat), c’est pire. Quand c’est le deuxième, c’est pire. Il y aura forcément comparaison, avec le premier roman publié, avec la version précédente du manuscrit. Mes parents mettaient leurs enfants sur un piédestal : tout ce que nous faisions, c’était toujours très bien, mais un éditeur n’est pas un parent. Pourtant, je me sens enfant, une petite fille devant son instituteur-juge-qui-aura-le-dernier-mot. Verra-t-il mes efforts? Verra-t-il que j’ai atteint mon maximum pour ce manuscrit?
Et pourtant… je vais plonger, je le sens.