Du vendredi 5 au dimanche 7 septembre 2014, rendez-vous sur les quais de Morges, avec plus de 300 auteurs en signature au bord du lac. J'y présenterai mon dernier livre paru à L'Âge d'Homme, L'échappée libre, entre autres titres.
L'échappée libre constitue la cinquième partie de la vaste chronique kaléidoscopique des Lectures du monde, recouvrant quatre décennies, de 1973 à 2013, et représentant aujourd'hui quelque 2000 pages publiées.
À partir des carnets journaliers qu'il tient depuis l'âge de dix-huit ans, l'auteur a développé, dès L'Ambassade du papillon (Prix de la Bibliothèque pour tous 2001), suivi par Les Passions partagées (Prix Paul Budry 2004), une fresque littéraire alternant notes intimes, réflexions sur la vie, lectures, rencontres, voyages, qui déploie à la fois un aperçu vivant de la vie culturelle en Suisse romande et un reflet de la société contemporaine en mutation, sous ses multiples aspects.
Après Riches Heures et Chemins de traverse, dont la forme empruntait de plus en plus au "montage" de type cinématographique, L'échappée libre marque, par sa tonalité et ses thèmes (le sens de la vie, le temps qui passe, l'amitié, l'amour et la mort), l'accès à une nouvelle sérénité. L'écho de lectures essentielles (Proust et Dostoïevski, notamment) va de pair avec de multiples découvertes littéraires ou artistiques, entre voyages (en Italie et en Slovaquie, aux Pays-Bas, en Grèce ou au Portugal, en Tunisie ou au Congo) et rencontres, d'Alain Cavaier à Guido Ceronetti, entre autres. De même l'auteur rend-il hommage aux grandes figures de la littérature romande disparues en ces années, de Maurice Chappaz et Georges Haldas à Jacques Chessex, Gaston Cherpillod ou Jean Vuilleumier.
Dédié à Geneviève et Vladimir Dimitrijevic, qui furent les âmes fondatrices des éditions L'Âge d'Homme, L'échappée libre se veut, par les mots, défi à la mort, et s'offre finalement à "ceux qui viennent".
L'Âge d'Homme, 424p.
Extraits: À la vie à la mort On n’y pense pas tout le temps mais elle est tout le temps là. La mort est tout le temps là quand on vit vraiment. Plus intensément on vit et plus vive est la présence de la mort. Penser tout le temps à la mort empêche de vivre, mais vivre sans y penser reviendrait àfermer les yeux et ne pas voir les couleurs de la vie que le noir de la mort fait mieux apparaître.L’apparition de la vie va de pair avec une plus vive conscience de la mort. En venant au monde l’enfant m’a appris que je mourrais, que sa mère mourrait et que lui-même disparaîtrait après avoir, peut-être, donné la vie ?
La première révélation de la mort est de nous découvrir vivants, la première révélation de la vie est de nous découvrir mortels, et c’est de ce double constat que découle ce livre.
Le livre auquel j’aspire serait l’essai d’une nouvelle alliance avec les choses de la vie, au défi de la mort.
La mort viendra, c’est chose certaine, mais nous la défierons en tâchant de mieux dire les choses de la vie avec nos mots jetés comme un filet sur les eaux claires aux fonds d’ombres mouvantes, ou ce serait une bouteille à la mer, ou ce serait une lettre aux vivants et à nos morts.
À L’ENFANT QUI VIENT
Pour Declan, Nata, Lucie et les autres...
Je ne sais pas qui tu es, toi qui viens là, ni toi non plus n’es pas censé le savoir.
Ce que je sais que tu ne sais pas, c’est que tu es porteur de joie. Tu ne sais pas ce que tu donnes, que nous recevons. Après quoi nous te donnerons ce que nous savons, que tu recevras ou non.
Du point de vue de l’ange on pourrait dire que tu sais déjà tout, sans avoir rien appris. C’est une vision très simple que celle de l’ange, toute claire comme le jour où tu es venu, et qui se troubleau fil des jours, mais qu’un premier sourire, puis un rire suffisent à éclaircir.
On ne s’y attendait pas: on avait oublié, ou bien on ne se doutait même pas de ce que c’est qu’un enfant qui éclate de rire pour la première fois; plus banal tu meurs mais ils en pleurent sur le moment, à vrai dire l’enfant qui rit pour la première fois recrée le monde à lui seul: c’est l’initial étonnement et tout revit alors — tout est béni de l’ici-présent.
Tu vas nous apprendre beaucoup, l’enfant, sans t’en douter. Ta joie a été notre joie dès ton premier sourire, et mourir sera plus facile de te savoir en vie.
Du point de vue de l’ange, on pourrait dire que nous ne savons rien, sauf un peu de chemin. C’est l’ange en nous qui a tracé, un peu partout, ces chemins.
Ensuite il t’incombera de choisir entre savoir et ne pas savoir, rester dans le vague ou donner à chaque chose ton souffle et son nom, leur demander ce qu’elles ont à te dire et les colorier, les baguer comme des oiseaux, puis les renvoyer aux nuées.
Les mots te savent un peu plus qu’hier, ce premier matin du monde où tu viens, et c’est cela que nous appelons le temps, je crois, ce n’est que cela : ce qu’ils feront de toi aux heures qui viennent, ce que fera de toi le temps qui t’est imparti sous ton nom — les mots sont derrière la porte de ce premier jour et ils attendent de toi que tu les accueilles et leur apprennes à s’écrire, les mots ont confiance en toi, qui leur apprendras ta douceur.
(À La Désirade, ce 30 juin 2013) Ces textes constituent les exergues, le prologue et l'envoi final de L'échappée libre, qui vient de paraître aux Editions l'Âge d'Homme.
L'échappée libre vue par Isabelle Falconnier, dans L'Hebdo du 15 mai 2014. «Quel homme, quel livre. Je n’ai qu’un mot à la bouche: merci. Merci d’être ce mémorialiste de la meilleure espèce depuis l’âge de 18 ans.»
Extraordinaire. Quel homme, quel livre. Quels hommes plutôt! Quels livres, rassemblés en un seul long fleuve de 400 pages. Entrer en Kufférie, c’est rencontrer le journaliste qui lit comme d’autres respirent et converse avec tous les écrivains du moment, l’écrivain qui ne laisse pas passer une journée sans prendre la plume, galère pour trouver un éditeur, se fâche avec Dimitrijevic ou Campiche, trouve Rebetez ou Morattel, le lecteur fou de Dostoïevski soudain pris de fougue pour Sollers ou Houellebecq, le compagnon aimant de sa «bonne amie», le père de ses grandes filles, l’ami exigeant, le nomade qui baguenaude à Rome ou à Tunis, l’ermite heureux dans sa Désirade surplombant le Léman, le bon vivant qu’un verre ou un séjour naturiste au Cap-d’Agde rendent heureux et, surtout, surtout, le témoin de la vie culturelle foisonnante dans laquelle il est immergé: romande bien sûr, suisse évidemment, parisienne autant qu’européenne.
Bien sûr, je suis ravie de figurer entre «Ezine Jean-Louis» et «Fallois Bernard de» dans son index, mais mon ego n’aveugle pas l’essentiel. Je n’ai qu’un mot à la bouche: merci. Merci d’être ce mémorialiste de la meilleure espèce depuis l’âge de 18 ans, de raconter la mort de Chappaz, Dimitrijevic ou Chessex, la naissance d’écrivains comme Aude Seigne, Quentin Mouron ou Max Lobe, de prendre au sérieux cette histoire littéraire non comme un sociologue ou un universitaire mais comme un être de chair imbibé de cette matière, qui la vit comme si la littérature lui coulait dans les veines et sa vie en dépendait, avec démesure, outrance, hypersensibilité, lucidité, modestie, patience et panache. Raconter au lecteur d’aujourd’hui, transmettre aux générations futures, ne pas oublier, rester vivant – rien de moins que sens de l’écriture. Sur 400 pages, ce patchwork de textes alternant journaux intimes, récits de voyages et chroniques littéraires coule comme un fleuve, reflet exact de la vraie vie lorsqu’elle n’est pas ailleurs.
Isabelle Falconnier, cheffe de la rubrique culturelle de L'Hebdo et Présidente du Salon du livre de Genève.
[email protected]
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