Magazine Humeur

Brève interruption des programmes

Publié le 07 septembre 2014 par Secondflore

Nous voici donc début septembre à l'orée de l'acte IV, où l’éternité de la Rentrée télescope l'actualité du calendrier... Avant de poursuivre, précisons quelques points – un, notamment : j'ai dit que le scénario de la rentrée était immuable ; il l'est. Mais il faut reconnaître quelques variantes.
Disons donc, pour simplifier, qu'il y a deux types de Rentrée :

a. la Rentrée sans favori. C'est le cas le plus fréquent – je ne développe pas ici, on verra ça dans l'Acte IV : on s'arrange pour en placer une dizaine sur la ligne de départ, et hop, on fait la course. *

b. la Rentrée avec favori. Dès l'été, pour diverses raisons, on sait que ce sera "lui et les autres ". Houellebecq avant qu'il n'ait la Carte, Little, Jenni, Carrère cette année... Dans ces cas-là, on scrute le favori, on monte une petite polémique sur le livre quand on l'a lu, ou sur son auteur (Houellebecq) – ou encore, pour Jenni, sur "le thème qu'il impose en cette Rentrée" (fascinante propension des rédac'chefs à considérer qu'un sujet s'impose à eux au moment même où ils décident de le mettre en Une) ; pour les autres, eh bien, ce sera en vrac.

Admettons aussi qu'il peut y avoir des surprises, dès le début de septembre.
Prenez 2012 : Gallimard avait tout fait pour imposer A. Bellenger et refaire le coup de Jenni. Est-ce une surprise que ça n'ait pas marché ? On en parla, beaucoup, on storytella, on lança des extraits, puis on le lut et on l'oublia. Jolie fable.
Prenez 2014 : au début de l'été, on ne parlait que du roman d'Emmanuel Carrère. Mais les jurés du Goncourt l'écartèrent de leur première liste, lui préférant des livres et des auteurs évidemment supérieurs (le seul que j'aie lu jusqu'ici de cette liste est hautement passable dans sa couverture bleue, mais je ne dois pas avoir le goût très sûr car on le retrouve nominé partout). Avaient-ils conscience en faisant cela qu'ils ne faisaient que renforcer le côté "lui et les autres" ? Je ne sais. Et puis, hein.

Notez encore que ces surprises semblent bien dérisoire quand arrive soudain l'Evénement imprévu – le pavé dans la mare. Une crise aiguë de narcissisme vengeur d'une ex de président, par exemple, doublée d'un coup d'éditeur. Mais bon : pour une fois qu'on promettait du sang, du vrai, une femme brisée et des dents cassées, qui aurait pu résister ?

* Question d'un auditeur : mais au fait, pourquoi tous les journaux, avec cette profusion, parlent-ils tous des mêmes livres ? Et pourquoi retrouve-t-on les mêmes sur toutes les listes des principaux prix ?
- Bonne question Michel ! La réponse est simple : c'est parce que ce sont les meilleurs livres de la rentrée (rires dans le studio). Plus sérieusement : il sort en septembre 400 nouveaux romans français ; à ce stade, les critiques les plus professionnels en ont lu/parcouru quelques dizaines au max, et ils ont commencé par les "poids lourds", soit par envie, soit par pression (amicale) des attachées de presse, soit par pragmatisme (ils ont un rédacteur en chef).
Quant aux jurés de prix, qui n'ont pas de rédacteur en chef mais de solides accointances avec les grandes maisons d'édition, la question est plus pernicieuse, et cache un axiome dont on ne parle jamais : les jurés du Goncourt, comme les autres, ne lisent jamais que les livres qui se sont inscrits au concours.

- Ah bon ! Il y a un formulaire d'inscription ?
- Eh non ! C'est tout l'art français du plafond de verre : les règles sont strictes mais jamais écrites.
- Mais alors, il faut faire quoi, pour s'inscrire ?
- Disons qu'au minimum, il faut envoyer le livre aux jurés, les relancer pour s'assurer qu'ils l'ouvriront, les faire un peu saliver, orienter leur lecture au besoin (ils n'auront probablement pas le temps ni l'envie de tout lire), relancer amicalement à quelques jours de la première réunion du jury (dont on connaîtra bien sûr la date)... Tout ceci nécessite des moyens et de l'entregent. Tu comprends maintenant pourquoi les petites maisons ne sont quasiment jamais représentées ? Note bien que même chez les gros, la compétition est féroce dès les tours préliminaires : car ton éditeur, dans le secret de son bureau, t'aura peut-être préféré tel roman "taillé pour les prix" ou tel auteur tellement photogénique : ce sont eux, et pas toi qu'il inscrira à la course aux grands prix. Dura lex sed lex.
- Je comprends. N'empêche que c'est dégueulasse. Les journalistes pourraient quand même sortir des sent... (etc)
- Certes. Tu verras dans les deux derniers actes que tout n'est peut-être pas pourri au royaume de la Rentrée. En attendant, je te laisse avec cette question : si tu avais devant toi une pile de cent livres arrivés chez toi en une semaine, comment t'y prendrais-tu ?
- Euh...
- Je te laisse réfléchir et on reprend la pièce, ok ?
- Ok.


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