C’est une anecdote qu’il aimait bien raconter quand l’occasion se présentait. Il n’en avait aucun souvenir personnellement, mais sa mère la lui avait tellement répétée que c’était comme s’il revoyait ces évènements.
Quand sa mère était sortie de la maternité, l’appartement où ses parents vivaient avec la belle-mère était si petit et leurs moyens si modestes que ses premiers jours et ses premières nuits, il les passa dans une boite à chaussures. En guise de couffin ou de berceau, bébé, il couchait dans une boite à godasses. Mais sans le couvercle, aimait-il à préciser. Une histoire qui l’amusait beaucoup et à laquelle il repensait sans arrêt à chaque fois qu’il voyait ce type de carton ou qu’il passait devant la vitrine d’un marchand de pompes.
Aujourd’hui, seul son pied pourrait se caser dans la boîte, à l’époque tout son corps s’y prélassait, à l’aise. La vie est bien étrange. Bien plus qu’il ne le pensait.
Adulte et marié, sa femme et ses enfants n’étaient pas sans connaitre ce détail de sa vie et c’est peut-être pour cela que ce fut plus pénible encore pour eux. Chasseur émérite, affilié à un club de flingueurs élitistes, une fois par an, il s’octroyait une semaine de congés entièrement dédiés à sa passion avec des amis. Ils partaient aux quatre coins du monde occire l’ours dans les Carpates, le tigre au Bengale, le garenne en Sologne et que sais-je encore.
Les trophées s’accumulaient sur les murs du salon, chacun chargé d’une histoire digne du Tartarin des lieux, répétée à l’envi lors des longues soirées organisées après ses expéditions, où ses amis et lui se rejouaient leurs exploits, en sirotant des vins vieux et capiteux.
Souvent la passion conduit aux excès. Les espèces nobles venant à disparaitre leur chasse fut interdite et les animaux protégés par des parcs nationaux. Si les murs du salon affichaient complet, depuis longtemps il avait réservé une place d’honneur, au-dessus de sa cheminée, à ce qu’il espérait être son dernier coup tiré – exclamations et rires gras de ses amis – une tête de lion.
L’expédition fut préparée dans le plus grand secret et grâce à des combines alliées à des réseaux organisés, il réussit à s’embarquer dans un safari illégal, dans une réserve au Kenya. Las, ce fut la dernière.
Ce n’est que bien plus tard, que nous ses amis, apprîmes les quelques détails de l’affaire de la bouche de sa veuve éplorée. Alors qu’il était parti depuis une dizaine de jours et sans nouvelles depuis, sa femme commençait à s’inquiéter quand un soir deux hommes vinrent frapper à sa porte. Empruntés et maladroits, ils ne savaient comment présenter la chose. Ils étaient membres du safari, la chasse avait mal tourné et son mari avait été tué par un lion. Déchiqueté, mais nous n’entrerons pas dans les détails. Toujours est-il que la situation étant illégale, pour s’éviter les pires complications, ils avaient du rapatrier le corps en catimini, à l’insu des autorités.
Partagée entre douleur et étonnement, la veuve se préparait à demander comment ils avaient pu réaliser un tel exploit, quand l’un d’eux lui tendit un paquet. Une boite à chaussures enveloppée dans un sac en plastique. « C’est tout ce que nous avons réussi à retrouver du corps ! »