La vie habitudinaire et assez mortelle que vivent tant de Suisses nantis et rassis est pour chacun de nous une menace de tous les jours et de tous les instants. La non-rencontre est le signe de cette vie aisée et insipide. Penser que nous sommes riches et libres et que nous en faisons ça : cette télévision, ces journaux, cette prostitution policée d’un peu tout.
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Il y a, dans nos pays de nantis, un homme nouveau qu’on pourrait dire l’Homme duTGV, qui fonctionne à l’aide de deux prothèses : calculette et portable.
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Fuir la laideur, la seule imagination des convoitises basses et toute forme de décréation.
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Deux retraités au café le matin. Elle la plus âgée mais rajeunie par ses atours vaguement écolo nuance chic, lui probablement ex-prof. Tous deux plongés dans les journaux avec une sorte de fièvre soucieuse, sans doute liée à leur sentiment d’être sur la touche, pour ne pas dire au rebut.
Me rappellent cette réflexion de l’un d’eux citée dans une enquête de Ménie Grégoire : « Ce qu’il y a de terrible, avec la retraite, c’est qu’on n’a plus de vacances… »
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Je reconnais mes vrais amis au degré d’intensité du sentiment de manque que j’éprouve en leur absence.
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L’esprit petit-bourgeois tend à tout acclimater et tout aplatir. La Suisse en représente l’accomplissement propre-en-ordre, à cela près qu’un vieux fonds terrien populaire y résiste.
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S itu veux savoir ce qu’untel pense de toi, écoute Madame.
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À Salonique, en juillet 1933.– Au congrès de l’orthodoxie mondiale, les Serbes parlent en martyrs. Se disent victimes de trois génocides, le premier en 14-18, le deuxième en 39-45 et le troisième aujourd’hui. Mais les Croates parlent aussi de génocide, de même que les Kosovars. Logomachie balkanique. Et les popes d’y ajouter...
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Ce mot de Hofmannstahl que volontiers je fais mien : « La joie exige toujours plus d’abandon, plus de courage, que la douleur . »
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Lautréamont, moins fou que d’habitude : « On dit des choses solides lorsqu’on ne cherche pas à en dire d’extraordinaires. »
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Des êtres qui sont plus purs dans l’apparente abjection que d’autres dans l’apparente vertu.
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Se purger de toute exaltation niaise, sans perdre sa capacité d’enthousiasme.
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Haldas appelle la sagesse « une foutaise philosophique ». Trop vite dit àmon goût, mais comment, en effet, se dire sage au pied de la Croix ?
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Je ne supporte pas la comédie dans les relations amicales, au sens d’un arrangement opportun. Autant l’hypocrisie courtoise, en société, me paraît aller de soi, autant le double langage, en amitié, m’est intolérable.
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Au cinéma, en décembre1993.– The Snapper de Stephen Frears. Avec truculence, voici le bordel du monde actuel sublimé par l’amour-tendresse. À mes yeux la meilleure réponse, et combien évangélique, à ceux-là qui prétendent que plus rien ne sort de notre vieille Europe.
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Dépasser l’ironie, la moquerie, la charge, la dégomme, piques et pointes : tout épinglage en somme facile, fauteur de remarques du genre : « Ah mais, tu l’as descendu ! », bref lavulgarité convenue, sans céder un pouce au consentement.
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Dans les médias de ce matin, cette anecdote si caractéristique de l’esprit politiquement correct, qui raconte l’interdiction faite à ses élèves, par telle directrice d’un collège anglais, d’assister à telle représentation de Roméo et Juliette, au motif que cette story serait trop exclusivement hétéro…
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Ily a, je crois, une analogie profonde entre le narcissisme sexuel, un certain alcoolisme et la drogue, et c’est la jouissance pure, pleine de son seul vide.
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D’où vient en nous la reconnaissance de la beauté ou de l’harmonie, opposées à la laideur ou au chaos ? Je ne crois pas qu’il s’agisse seulement d’éducation ou de culture. Je crois qu’il y a, au fond de nous, le sens d’un ordre secret et sacré que dérange et même que défait ce qu’on appelle le mal.
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À Nermont, en novembre1994.– La montagne est d’une vieille beauté triste d’avant la tombe qui me rappelle ce sublime poème de Lamartine dont je ne me souviens pas d’un mot à l’instant. Les épilobes ont l’air de plumes d’autruche mangées aux mites au fond d’un grenier fleurant la souris morte, la cabane aux oiseaux penche plus que l’été dernier, les feuillus défoliés mettent du gris taïga dans les vestiges d’or et de pourpre qui rehaussent à peine le fond vert fané de la forêt, le petit funiculaire rouge ne grince plus de l’autre côté du val, la plupart des chalets sont fermés. Le silence se fait entendre, un chat haret s’enfuit là-bas dans les taillis, je me demande vers quelle ingrate tanière.
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À Paris, en décembre1994.– Ce que me disait Ismaïl Kadaré hier soir, à propos du ressentiment mortel qui pourrait être attisé ces prochaines années par les intégristes musulmans montant en épingle le martyre de la Bosnie, me semble bien plus fondé que la satisfaction de certains chrétiens persuadés que les Serbes ont fait barrage à une avancée de l’islam; et je partage, aussi, le sentiment de Kadaré que quelque chose d’important nous échappe encore de l’affrontement réel à venir, qui nous apparaîtra peut-être trop tard. En tout cas je retiens cette observation du grand écrivain albanais : que la haine d’un milliard de musulmans est une chose trop grande pour le monde.
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Il faut que je me persuade chaque matin que je ne suis pas nul. Que je me persuade chaque matin que mon travail est légitime. Que je me persuade chaque matin que ce que je fais n’est pas à jeter. Après quoi je n’ai plus qu’à m’y mettre.
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Sur une affiche placardée à la Bibliothèque universitaire : « Pour un quart d’heure de méditation – Espace Dieu, salle X . »
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Le travail est le seul acte, avec l’enfantement, qui ajoute un contenu à l’extase.
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Bernanos :« L’homme de ce temps a le coeur dur et la tripe sensible. Comme après le déluge, la terre appartiendra peut-être demain aux monstres mous ».
Photo JLK: les hauts de La Désirade