J’avais entendu parler de la maitresse de mon fils avant de la connaitre. Sa réputation la précédait: sévère. Cet été mon presque 8 ans espérait ne pas l’avoir. Puis finalement il l’a trouvé gentille « tu comprends si ils écoutent pas les autres c’est normal qu’elle se fâche ». Mon gosse qui a choisi pourtant de naitre en fin d’année au lieu de début est sacrément mature. Il m’avait dit elle a ton âge à peu près.
Alors j’avais hâte de la rencontrer cette maitresse qui exige des protèges cahiers noirs.
Hier j’avais la réunion de parents, j’étais au taquet! Je savais que j’allais être au deuxième rang à coté de son bureau de quoi pouvoir l’observer de près. Elle a des chaussures magnifiques la garce: bleu roi et dorées, un carré plongeant et une taille de guêpe.. Effectivement pas loin de mon âge. Heureusement pour le matricule de mon rejeton.. Elle a tous les attributs de la maitresse dont on peut tomber amoureux.
A part les cernes et ce regard noir quand elle dit « je suis exigente, j’aime que les cahiers soient tenus avec soin, on doit travailler, je note les contrôles sur 20, à faire signer… » Maman j’ai peur.
Mais qui est-elle? Le matin elle a surement choisi sa tenue avec soin. Ni trop ni pas assez. Le seul jour où elle rencontre les parents c’est pas rien. Elle a surement maudit ces cernes qu’elle a de plus en plus de mal à dissimuler. pourtant elle tente bien de se coucher chaque jour un peu plus tôt mais il y a toujours ces foutus cahiers à corriger… Cette attirance pour l’ordre et la propreté la perdront aussi… Elle a sans doute eu un peu de mal à prendre son déjeuner en se demandant quelles questions allaient bien pouvoir sortir encore cette année. Elle connait sa réputation, elle n’est plus une débutante. Alors elle prépare son speech encore et toujours, méticuleusement. Plus tard dans la classe quand les enfants partent à l’étude elle aligne les cahiers, remet les dictionnaires en place. Elle efface le tableau consciencieusement et enlève toute trace de craie. Elle prend soin d’afficher quelques dessins offerts de-ci de-là. Elle pousse les chaises. Elle respire un grand coup et se lance, elle ouvre la porte. Elle pense au repas du soir, aux amis qu’elle verra ce week end. Elle regarde ces parents, les dévisage un par un, promesse d’une nouvelle année. Elle aime son métier. Elle est dure elle le sait mais c’est cette méthodologie qui la rassure dans chacune de ses journées. Elle se lance et récite ses notes. Elle est à l’aise. Personne ne parle.
Elle est la maitresse, nous sommes les parents.
Nos jambes coincées entre la case et la chaise. Je suis cette maman. Je suis aussi cette élève. Je me souviens. L’odeur de l’encre, la poussière de la craie, les grincements des tables et l’odeur du cuir neuf des cartables. Au loin les bruits de la ville et ce silence. Cette voix qui enseigne, qui raconte avec passion. Elle est celle que j’écoute, celle qui m’apprend, celle qui m’ouvre le monde et me l’explique, elle m’inscrit dans le temps et me localise dans l’univers. Elle m’ouvre les voies de l’art, la signification des mots. J’ai confiance.
Elle remet ses notes dans le dernier tiroir en bas. Elle pousse sa chaise à sa place. Il n’y a plus personne, les couloirs sont vides et les bruits sourds de la ville résonnent au loin. Elle claque doucement la porte. Elle repense à ces visages et sourient d’une ressemblance. Et puis elle pense au repas du soir, se promet de se coucher tôt après ces quelques cahiers à corriger.
L’année est entamée et elle fait encore le souhait d’aider ces élèves du mieux qu’elle pourra, peu importe sa réputation, peu importe ses cernes.
Son métier elle le fait avec passion et moi je la crois.