Mémoire vive (9)

Publié le 19 septembre 2014 par Jlk

La touche de Svjatoslav Richter, si nette et si délicate, si physique et si métaphysique, si pleine et si retenue, dans le mouvement lent de cette sonate posthume de Schubert que j’écouterais des centaines de fois sans m’en lasser jamais.

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En lisant le Journal littéraire de Paul Léautaud, je suis impressionné, une fois de plus, par la richesse des observations qui y ont été consignées pendant  plus de cinquante ans, et par le parfait équilibre tenu entre la substance ressaisie et son expression.

J’ai lu ce matin les pages dans lesquelles le bonhomme évoque Proust à propos d’une revue consacrée à celui-ci, et sans qu’il en connaisse rien, de son propre aveu, que quelques extraits donnés à cette occasion, auxquels il ne comprend d’ailleurs à peu près rien non plus.

Léautaud prétend qu’un écrivain ne devrait pas lire ses confrères afin de rester plus lui-même, mais c’est là tout ce qui nous sépare. Je crois au contraire qu’un écrivain doit tout lire et tout filtrer en s’efforçant de trouver sa propre voix.

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L’aspiration à tout maîtriser donne le style, mais cela part d’une nuit, cela part d’un corps et d’un chaos. Tout n’est pas ordonné par la grammaire mais le corps traverse le cristal de la grammaire comme un rideau de pluie et de l’autre côtés ont les chemins.

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L’une est la fraîcheur même, avec quelque chose de folâtre dans la gaieté qui me rappelle la toute petite fille radieuse qu’elle a été. La voir faire la folle avec le chien dans la neige, derrière la fenêtre, souriant à son jeu comme si elle avait sept ans, me touche aux larmes.

L’autre est plus lente et plus lancinante, plus sentimentale, plus ardente et plus démunie. Elle a déjà pleuré, elle pleure et elle pleurera.

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À La Désirade, ce 28 mars 1999. – Ce jour des Rameaux, je ressens une profonde tristesse à l’idée que les uns et les autres se réclament de Dieu pour se massacrer les uns les autres. Cette idée que Dieu participe au combat, que Dieu prend parti, que Dieu bénit les guerriers, m’est complètement étrangère, ou disons que je vois en elle une figure de l’idolâtrie qui ne mérite pas plus de considération ni de respect que l’idolâtrie du Dollar ou de la Force.

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La leçon de Simenon qui m’intéresse ces jours porte essentiellement sur l’usage de la langue : renoncer à tout adjectif inutile. Plus encore : à tout clin d’œil référentiel. Le plus de choses dites avec le moins de mots. Passer du Je aux autres personnes du singulier et du pluriel. Retrouver la ville en quelque sorte.

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Il ya en moi une joie que rien ne peut altérer : telle est ma vérité première et dernière, ma lumière dans les ténèbres. C’est dans cette pensée, qui est plutôt un sentiment, une sensation diffuse et précise à la fois, que je me réveille tous les matins.

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Ma conviction profonde qu’il n’y a qu’un seul Dieu et qu’une seule Vérité, mais que cela n’exclut pas tous les dieux et toutes les vérités : que cela les inclut.

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Je me réveille  à hauteur de source, j’ai refait le plein d’énergie, sous la cloche d’azur je tinterai tout à l’heure comme l’oiseau, puis je descendrai par les villages aux villes polluées etlà-bas j’ajouterai ma pureté à l’impureté : je vous donnerai ce qui m’aété donné les yeux fermés.

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Au Café des Abattoirs, en janvier 2000. – À la fenêtre ce camion portant l’inscription : Animaux vivants. Et cette enseigne de la charcuterie d’en face : L’Art de la viande. À la table d’à côté,cette femme seule et péremptoire, qui dit comme ça qu’elle préfère les voitures aux hommes, tous des salauds. Elle, en tout cas, elle a son Opel Corsa, qu’elle ne doit à personne.

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Tout faire, désormais, pour échapper à la confusuion des sentiments.

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Celui qui revit tôt l’aube / Celle qui émerge de la nuit comme d’une eau dormante / Ceux qui font fête au jour malgré les journaux / celui qui ouvre ce livre où c’est écrit : « tout ce que j’ai aimé a disparu » / Celle qui fait le ménage en se rappelant la sentence d’Alexandre Vialatte : « L’homme est poussière, d’où l’importance du plumeau », etc.

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Ne te plains pas du bruit que font les bruyants : il y a partout une chambre qui attend ton silence comme une musique pure lui offrant toute ta présence entre ses quatre murs de ciel.

À suivre…