Manu Larcenet ne peux pas ne pas s'être posé cette question terrible pour tout créateur.Et après?
Au fil des 4 tomes de Blast, Manu Larcenet s'est attaché à cette grasse carcasse perdue corps et âme dans la recherche du blast, explosion illusoire de bonheur. Une fois le dernier tome refermé, il est évident que Blast, monstrueuse plongée de 800 pages dans les méandres de la folie et des mensonges de Polza Mancini, laissera une marque durable dans l'oeuvre de son auteur.Son prochain livre ne pourra pas se contenter d'être le livre suivant. Celui qui devra succéder à Blast devra supporter la comparaison et se démarquer. Pour Pascal Rabaté, ce fut Bienvenue à Jobourg qui succéda au monstre Ibicus. Je me rappelle de la déception que j'avais ressentie à l'époque devant ce livre qui semblait bien léger, à tel point que j'avais du mal à le considérer comme le successeur d'Ibicus. je le voyais plus comme un amuse-gueule. Je ne l'ai pas relu depuis.Nous en savons désormais plus sur ce livre d'après. Il s'agira dune adaptation.La première pour Larcenet.Annoncée sur son blog (annonce qui mènera malheureusement à la fermeture de ce dernier), il s'agira d'une adaptation du Rapport de Brodeck de Philippe Claudel. Cela faisait un moment que je tournais autour de ce livre. L'annonce de cette adaptation m'aura fait sauter le pas.Pourquoi ce livre?Sans vouloir déflorer l'intrigue, j'y ai vu une histoire à la fois très proche et très éloignée de Blast.L'intrigue n'a rien à voir, soyons clair.Mais certains thématiques et schémas se retrouvent dans les deux récits.
Deux confessions très différentesCes deux récits prennent la forme d'une confession, dans tout ce qu'elle peut avoir de subjective, voire de biaisé.Dans Blast, Polza Mancini est face à deux policiers qui tentent de la faire passer à table. Ils savent ce qui s'est passé. Ce n'est pas le "quoi" qui les intéressent, mais le "comment". Quel fut le cheminement de Polza. Ils lui laissent l'illusion qu'il contrôle les débats pour le pousser à se dévoiler. Mais son récit, sous de faux airs de confession, n'est qu'un petit arrangement de Polza avec lui-même, occultant certains faits, en déformant d'autres. On peut lui trouver l'excuse de la folie, mais les faits sont là. Il ment.
copyright: Manu Larcenet
Le rapport de Brodeck est au contraire une tentative d'exprimer la vérité. Brodeck, un homme abîmé par la vie, est contraint de rédiger un rapport pour expliquer l'Ereignis: un événement tragique qui a eu lieu dans son village. Les non-dits sont nombreux. Le choix même du mot "Ereignis", seul admis pour désigner l'innomable, issu du dialecte local et qui signifie incident ou événement, représente une première tentative de diluer l'horreur. Toutes les vérités ne sont pas bonne à dire Brodeck, en marge de son rapport, s'emploie à tout raconter dans une confession qu'il rédige en parallèle, en cachette de ses commanditaires. C'est cette confession que nous lisons.
La Nature
copyright: Manu Larcenet
Otto Dix
portrait d'un prisonnier de guerre
1945
Si la nature représente un élément stabilisateur dans ces deux récits, la figure de l'autre y est centrale.
l'autre, celui qui n'est pas comme nous.Chez Claudel, on ignore jusqu'au nom de la victime, qui n'est désignée que comme Der Anderer.L'autre, l'étranger.Brodeck, lui-même, est aussi un autre... il est de l'autre religion, de l'autre race. Il vient d'autre part et il en a payé le prix. Il y a une mise au ban, terrible, cruelle.les Uns condamnent l'Autre à l'enfer.Polza aussi est un autre, sauf qu'il s'est exclu de lui-même. Il a quitté la société. Il a même tourné le dos aux plus marginaux, cette communauté/cours des miracles croisée au début.