28 septembre 1914
Ma bonne Cécile,
Je te disais, dans le mot que je t ‘ai envoyé hier que les ballots de lettres étaient arrivés et allaient êtres triés. J’ai assisté pendant un moment à ce travail considérable et j’ai eu la joie d’entendre un des premiers mon nom. J'ai reçu ta lettre datée du 18 septembre dans laquelle tu me parles d’Eugénie qui a bien voulu se souvenir de nous et à qui tu as donné asile. Je t’approuve entièrement.
Tu me dis aussi que tu ne reçois pas mes lettres. Serait-ce parce que j’ai employé la poste civile, c’est-à-dire parce que j’ai affranchi ces lettres ? Cependant j’ai alterné avec des cartes en franchise et ai pu t’écrire presque journellement sauf certains jours où ça chauffait beaucoup.
Je te répétais que moral et physique étaient toujours parfaits, cependant que j’étais obsédé par la fameuse date du 1er octobre, jour où j’ai le droit de faire valoir mes droits à la retraite et toi par conséquent tu as également des droits tiers (?) sur mes 18 années de service militaire et les 12 années de l’asile.
Mais ta lettre est venue dissiper ces préoccupations et a ramené ma sérénité qui sera néanmoins plus complète encore à partir du 30 à minuit. (Tu vois c’est du cauchemar). Moi non plus ma chérie, je n’ai pas de lettres de Robert. Ça me manque beaucoup. On m’a assuré qu’il devait être nommé médecin auxiliaire. S’il en était ainsi, je serais bien heureux, car outre la solde, il touchera également une indemnité d’entrée en campagne qui lui sera bien utile. D’autre part la situation matérielle sera meilleure.
J’ai demandé à tous les états-majors que j’ai rencontrés, aucun n’a pu me renseigner sur cette fameuse 73e division de réserve.
J’ai reçu des lettres contenant le mandat de Poulet juste le lendemain du jour où je lui ai écrit, aussi je ne lui en parlais pas non plus. On est toujours sans nouvelles du pauvre Marcel, aucun de ses camarades survivants ne peut me dire dans quelles conditions, il a disparu et l’ambulance du 37e ne l’a pas sur ses contrôles. Un de ses camarades que j’avais vu à la hâte le lendemain de l’affaire m’a dit qu’il était légèrement blessé à la tête, mais celui-là a disparu à son tour. Car je n’ai pu le rejoindre depuis. Hier j’ai reçu un mot du brave Simon qui termine sa lettre par ‘ pauvre Hautmont », que veut-il dire ?
Hier et aujourd’hui notre régiment a été divisé et placé momentanément sous des autorités différentes. De sorte que j’ai été détaché à l’arrière avec la compagnie (?) rang, je bats donc ma flemme, c’est ce qui t’explique le temps de te donner tous ces détails, qui m’est procuré ; J’en profite avec le plus grand bonheur, ma chérie, mais je dois me borner car je ne peux te parler des évènements actuels sans enfreindre à la consigne. Mais ça va toujours bien, bien que lentement. Je termine donc en te répétant combien je t’aime, combien mon affection redouble avec l’absence et combien j’aspire maintenant à la fin de cette épreuve qui permettra enfin notre réunion dont nous userons et abuserons, dis ma chérie ?
Je t’embrasse bien fort. Ton tout à toi
J.Druesne
Je n’ai pas encore rencontré M.Gauny, cependant il doit être par ici. Dis bien des choses chez lui et embrasse Loulou et Eugénie.
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28 septembre 1914 (JMO du 37er RI)
Les 1er et 2e bataillons reprennent pour la pointe du jour les positions de la veille qu'ils doivent continuer à organiser et à occuper solidement. Ces positions furent soumises toute la journée à un violent bombardement. A la tombée de la nuit eut lieu une violente attaque du village de Mametz. Le 2e bataillon découvert à gauche par le 81e territorial qui lâche prise, fut obligé de se replier en partie. La 8e compagnie seule resta dans le château et y passe la nuit.
Les pertes sont: Capitaine Rigaud tué, Lieutenant Vamaise blessé.
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"Historique du 37e régiment d'infanterie. France. 1914-1918"
Au cours de la journée du 28 et pendant la nuit du 28 au 29, l’ennemi prononce de violentes attaques sur Mametz et Fricourt. A Mametz la 8e compagnie, qui a mis le château en état de défense, arrête l’ennemi par son opiniâtre résistance. Le capitaine RIGAUD, qui la commande, tombe en donnant l’exemple de la plus belle bravoure.
Devant Fricourt le capitaine Chasles, avec la 10e compagnie et des éléments du 3ème bataillon, résiste énergiquement dans une carrière dont la sortie est sous le feu de deux mitrailleuses allemandes.
Ces deux vaillantes compagnies tiennent héroïquement et ne sont dégagées que le 29 par une attaque menée sur Fricourt et Mametz par la 21e brigade à la disposition de qui avait été mis le 37e.
Pendant ces durs combats le régiment avait été, comme toujours, à hauteur de sa tâche. Officiers et soldats avaient rivalisé d’énergie, de courage et de ténacité. Ils avaient une part des plus glorieuses à la citation accordée au 20e C. A.
“ Le 20e C.A., comprenant le 37e R.I. Pendant les journées des 26 et 27 septembre 1914, sur toutes les parties du front où il a été employé, le 20e corps a toujours su progresser et entraîner la progression de ses voisins. Le 28, il a résisté aux attaques les plus furieuses et il a trouvé, dans son ardeur, assez de ressources pour passer à son tour à. l’offensive le 29 au matin. Le général commandant l’armée est heureux de féliciter le 20e C.A. Dans l’ouest, comme précédemment dans l’est, ce corps ne cesse de montrer les plus hautes qualités manœuvrières, une endurance qui ne se dément pas, une vigueur et un entrain que rien ne saurait abattre. ”