On ne parle jamais ou presque du prix d'un livre. Tu me diras, quand on aime on ne compte pas, mais à ce compte-là on pourrait en parler quand on n'aime pas, par exemple. Mais non, dans les critiques, il n'est jamais question du prix. On pourrait penser que c'est parce que les critiques n'achètent pas les livres qu'ils commentent, mais c'est faux : les blogueuses/eurs littéraires n'en parlent pas plus – et pourtant, même inondées de services de presse, la plupart restent de grandes clientes des librairies. On fait comme si tous les livres avaient le même prix, comme si c'était ça, le fameux prix unique du livre.
Or non, tous les livres n'ont pas le même prix. Et même si l'inflation est restée faible ces dix dernières années, pour qui n'a pas un budget illimité, une traduction à 25€ et un roman à 15€, ce n'est pas pareil.
Je sais bien ce qu'il en est pour les traductions : il a fallu acheter les droits, payer le traducteur (avec ou sans aide publique)... Mais quand Eho publie La Conversation de Jean d'O., par exemple, personne ne souligne que 15€ pour 120 pages écrites très gros, ça fait quand même très cher du mot. Trop plouc, sans doute.
… Mais pardon, plouc ou non, je ne voulais pas aller dans ce sens.
Je voulais surtout noter que personne ne remarque non plus quand un éditeur fait un vrai effort sur le prix. Les éditions Allia, par exemple : 6 ou 9 euros pour des romans certes courts mais parfois géniaux, avec le velours de la couverture et une qualité de papier incomparable avec celle d'un poche. En entend-on parler ? Si peu ! Pas de quoi donner envie à d'autres éditeurs de suivre la même voie, en tout cas.
Parce que tout de même, avec tous les coûts de la longue chaîne du livre (si tu n'as pas d'ordre de grandeur en tête, retiens que l'éditeur touche moins de 45% du prix HT du livre que tu achètes, avec quoi il doit payer l'impression, l'auteur (8 à 10%) et la promotion de l'ouvrage (s'il lui reste un centime)), avec tout ça, donc, baisser le prix relève d'une sorte de folie.
Et pourtant, régulièrement, certains s'y essaient. De gros éditeurs, sur le modèle de Taschen, tentent parfois un coup, en pariant sur de gros volumes de vente – mais en littérature, rarement...
Pour prendre un exemple que je connais bien : il y a deux ans, quand est sorti Le métro est un sport collectif, Rue fromentin a tenté un pari : ils ont à la fois investi dans la qualité (papier et couverture), et fixé un prix modique : 12 euros, franchement, c'était osé. Alors qu'il aurait été si simple de le mettre à 15 ou 16 € (quitte à prendre un papier plus bouffant pour donner une impression de volume (c'est si facile))... Mais au final, qui a salué leur initiative ? Personne, je crois. Pas même des amis, ou les visiteurs de salon du livre. Nada.
Dans les écoles de commerce, on appelle ça l'élasticité-prix : la rapport entre l'évolution du prix d'un produit et le volume des ventes. Disons-le clairement : que la couverture soit souple ou cartonnée, je ne connais rien d'aussi peu élastique qu'un livre. Et c'est dommage.
… Et au fait, me demanderas-tu, pourquoi parler de ça maintenant ? Eh bien parce que de temps en temps, bille en tête face à l'implacable, un éditeur entreprend de braver le destin et les statistiques économiques. Wild project... Garde ça en tête quand je te parlerai du livre de Marc Molk que je suis en train de finir. J'aurais pu t'en faire l'éloge s'il avait coûté vingt euros. Il n'en coûte que douze, et c'est encore plus beau.