Le mot CLAIRIÈRE me revient avec la neige de ce matin, qui éclaire la nuit d’une clarté préludant au jour et dont la seule sonorité est annonciatrice de soulagement et de bienfait - la neige est une clairière dans la nuit, de même que la nuit est une clairière dans le bruit…
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Une fois de plus, à l’instant, voici l’émouvante beauté du lever du jour, l’émouvante beauté d’une aube d’hiver bleu pervenche, l’émouvante beauté des gens le matin, l’émouvante beauté d’une pensée douce flottant comme un nuage immobile absolument sur le lac bleu neigeux, l’émouvante beauté de ce que ne voit pas l’aveugle ce matin mais qui le ressent les yeux ouverts...
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À La Désirade,ce 9 février 2009. – Je vis tous ces matins le silence et la solitude du silence sous la neige, la solitude des choses que j’essaie de dire pour les faire se sentir moins seules, qui sait - comme si les choses que je nomme se trouvaient tirées de la nuit pour accéder à une plus palpable présence…
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L’impression parfois que plus rien n’a de sens pour personne – mais ce n’est qu’une impression.
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Celui qui se marre tant que c’en devient drôle / Celle qui a une formidable réserve de blagues australiennes mais aucune mémoire hélas / Ceux qui ont le désespoir sémillant,etc.
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Tu me dis que l’espace est la plus ancienne de toutes les choses, mais c’est la façon dont tu me le dis, à trois heures du matin, en plein nulle part, sur l’autoroute où j’ai longtemps dormi pendant que tu conduisais, encore plus seule que si je n’étais pas là – c’est cette intonation douce de ta voix qui m’a fait penser soudain qu’à cet instant précis nous donnions une chance à l’espace d’avoir moins froid…
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Ne pas se laisser éteindre par les éteignoirs. Ne pas s'isoler non plus par orgueil.
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Dans le rêve le vieux marcheur me demandait si j’avais bien vu tout ce qu’il y a dans son désert, il disait mon désert et il insistait : mon beau désert, puis il se reprenait : notre beau désert, et pour lui faire plaisir, comme je dormais, je lui disais qu’il fallait bien ouvrir les yeux pour voir notre désert, et qu’alors on voyait un beau désert plein de choses invisibles quand on dormait les yeux ouverts – mais quel beau désert nous avons là, lui disais-je dans mon rêve, sur quoi je me réveillais et je voyais alors tout ce que nous ne voyons pas faute d’ouvrir les yeux…
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À la lecture de Révérence à la vie de Théodore Monod, je me sens en complet accord avec ce que dit le vieil homme de l’esprit évangélique et de la vraie vie chrétienne non alignée. Voilà le type d’hommes que j’admirais en mon adolescence, pacifistes et réfractaires,cultivant la même soif de justice et de liberté d'esprit et de corps, tels le pasteur Pierre Volet de notre quartier des hauts de Lausanne et l’objecteur Louis Lecoin sur lequel je commis mon premier papier à quatorze ans, Morvan Lebesque mon chroniqueur mentor duCanard enchainé et ces autres maîtres à ne pas obtempérer que me furent un Brassens ou un Brel, un Albert Camus ou un Roger Martin du Gard.
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AntonTchékhov: "Lui-même se surprenait parfois à être un despote".
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A l’éveil des ces jours inclinant au redoux on ne trouve pas de mots assez légers ni assez transparents mais qui évoqueraient à la fois le poids des montagnes millénaires et la densité de l’air qui les relie aux galaxies, tout ce lien de temps imaginaire et d’atomes de brume un peu chinoise ce matin - des mots qui dévoileraient en voilant et qui parleraient sans prétendre rien dire que ce qui est…
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CELA serait le grand mystère de ce que je vois sans le voir, et j’y associe ce matin mon frère mystérieux: dans ce paysage immense qu’on dirait à l’instant de monts de Chine encrés à rehauts de bleu sombre, mon frère est ce personnage à manteau noir qui s’en va seul, là-bas, sur la rive du lac semblant un fleuve, mon frère qui n’est aujourd’hui plus que cendres sans mystère au jardin du souvenir et telle est ma question : qui est cet homme que je vois là-bas qui me fait signe ?
Tu me disais, grand frère, que CELA ne nous regarde pas, mais ton prénom me rend un corps et c’est le tien : ton corps d’Indien de nos étés, ton corps tatoué de grand frangin que je regarde et qui me regarde, oui CELA me regarde, CELA nous regarde, mais où s’arrête ton corps, ce matin, comment ne pas entendre ta voix de garçon petit et tout blond dans le silence de CELA ? Et qu’est-ce diable que CELA?
Où commence le corps de notre premier enfant ? Tiens, l’odeur de la première merveille n’est pas la même que celle de la seconde. Celle-ci sent plutôt le jasmin, celle-là plutôt l’abricot, comme leur mère sent le matin le jardin et leur père le sanglier.
Le mot CELA est le sempiternel entonnoir de tous mes vertiges de vieil enfant et d’adolescent prolongé: il y a de quoi devenir fou à le scruter, bien plus que le nom de Dieu qui ne se laisse pas regarder en face plus que le soleil ou qu’on affuble de tous les masques.
Dieu tu ne l’as jamais vu. Dieu n’est pas CELA, mais CELA te ramène à ce Nom sans nom. Dieu t’a toujours tenu dans sa main, te dis-tu parfois, mais que diable en sais-tu ? Eux le savent qui en ont fait le Tout-Puissant, Seigneur des armées, mais de celui-là tu ne veux rien savoir. Eux le savent qui en ont fait le Verbe ou l’Absent, le Vengeur ou le Sacrifié, le Glorieux ou le Mendiant, mais de tous ceux-là tu ne sais que dire ce matin alors que le mot CELA t’engloutit, seul et muet, comme si tu te voyais toi-même sans miroir, de dos ou du dedans, seulement visible les yeux fermés...
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De Dieu mais tu vois ce que je vois ce matin dans les rues de ce matin et sur les places de ce matin et aux guichets de ce matin : j’en crois pas mes yeux, non mais je me pince, et sur les arbres de ce matin, et le long du fleuve et des heures de cette matinée, t’as déjà vu tout ça toi, et là dans les snacks et les cantines, et là-bas dans les hostos de midi et les baraques de l’asile, et l’après-midi les enfants dans les jardins municipaux, non mais dis-moi pas, toi, que t’as déjà vu ça…
Images: Lady L. en Thaïlande et au Cambodge.