Magazine Talents

Création

Publié le 23 mai 2008 par Untel
Il pose, ne cesse de reposer, la question de la création. Que sont les personnages de roman, comment vivent-ils ? Et les personnages de l’histoire ? La plupart des auteurs (disons) s’efforce de leur donner vie dans un monde cohérent, un corps, un esprit relativement consistant, une personnalité bref, ils s’efforcent de créer des personnages à notre image, ce qu’on appelle le réalisme. Mais que sont-ils vraiment ? Tous les romans noirs possèdent des traits communs, dont certains apparaissent, tant ils sont ressassés, comme des clichés (inutilisable sans humour, à moins de vouloir être la risée des lecteurs). En forçant encore le trait on pourrait imaginer que tous ces romans, ces polars, contribuent à créer un monde identifiable, un monde où les ruelles sont non seulement étroites mais sombres, les néons sont à l’agonie, les pas résonnent dans la ville, avec, peut-être une sirène de police en fond alors que je suis encerclé par un groupe de types armés d’un couteau dont la lame luit faiblement, et reflète surtout l’épuisement de mon espoir de m’en échapper. Plus encore, on pourrait – pourquoi pas ? – faire l’hypothèse qu’en réalité les romans noirs ne seraient que le récit d’événements qui se déroulent (vraiment) dans ce monde sans lumière mais avec putes plus ou moins philosophes, puisqu’il est doté d’une certaine identité. Dans ces conditions la question Qu’est-ce qu’un détective privé dans ce monde ? prend un autre sens. La réponse ne sera pas la même que celle portant sur un détective de notre monde, sans doute en réalité moins romancé que celui du polar (quoi que). En l’occurrence l’auteur nous invite à prendre la place du détective au trench coat et feutre (uniforme obligatoire), non pas en prenant une carte d’enquêteur mais en feignant de nous créer, nous lecteurs, comme on crée le détective. Tu serais donc manipulé comme l’est le personnage ; tu mènerais maladroitement l’enquête au milieu de personnages étranges, énigmatiques, aussi manipulateurs, si possible, que l’auteur, tu suivrais sans cesse de fausses pistes car, contrairement au détective de notre monde qui, je suppose, doit trouver une vérité quelconque aussi rapidement que possible, le boulot du personnage de fiction que tu es est avant tout de suivre de fausses pistes, de subir les rebondissements qui prennent souvent la forme de tabassages en règle, et cela, sans cesse, pour l’éternité… Car la condition d’un personnage n’est pas des plus enviables : on ne sait pas où on va, on ne sait pas pourquoi on fait ce qu’on fait, on est ce qu’on est, on est quotidiennement objet de dérision puisque typé jusqu’à la caricature et prisonnier de lieux communs. Ces quelques pistes et exemples de rapport fiction-réel créature-créateur (il prétend qu’il s’est mis à écrire après avoir lu la Bible, et, c’est vrai, Beckett, on peut ou pas y voir un rapport avec son travail de romancier) conduisent l’auteur – je ne peux sans doute leur rendre justice en ces quelques mots – à construire des romans aux couches multiples et son humour, son sens de la dérision ne retire rien à leur pouvoir stimulant, mais on n’y entre pas toujours avec le même plaisir, selon que le réel (le nôtre, si je puis dire, avec es histoires, celle qu’on se raconte à soi-même ou qu’on a assimilé depuis des années, et qui constituent autant notre culture personnelle que, dans une certaine mesure, notre réalité) est pris à partie, ou que la fiction se regarde fictionner.

Retour à La Une de Logo Paperblog

Magazine