Cassinomagus

Publié le 09 octobre 2014 par Rolandbosquet

   Visité, cet été, les vestiges des thermes gallo-romains de Chassenon en Charente Limousine. Idéalement situé au carrefour des Pays des Lémovices, des Pictons et des Santons et à proximité de la fameuse voie Agrippa reliant Santonum à Lugdunum, le village gaulois de Cassinomago (le marché aux chênes) ne pouvait que connaître un développement au moins aussi grandiose que celui de nos modestes bourgs de campagne bénéficiant d’une sortie d’autoroute. Pour accueillir les inévitables voyageurs de commerce, colporteurs et marchands de tout et de rien ou les simples touristes en goguette, les édiles durent construire. Comme nul ministre n’avait encore règlementé à outrance le simple fait de poser deux pierres l’une sur l’autre, les terrassiers, maçons, charpentiers, menuisiers et autres mobiliers laissèrent libre-cours à leur savoir-faire acquis auprès des Romains. Leur technicité n’avait alors rien à envier à nos artistes bâtisseurs d’HLM. Vastes salles dallées avec chauffage au sol, ventilations intégrées, eau courante à tous les étages et latrines collectives, larges baies vitrées donnant sur une paisible et riche campagne. Et bains publics en bassins chauffés à différentes températures pour toutes catégories sociales confondues. Ce qui n’existe même plus aujourd’hui où les plus riches ont leur propre piscine. Les soins du corps y étaient aussi raffinés que dans nos modernes salles de massages avec onguents exotiques, huiles parfumées et fragrances capiteuses. Ces barbares antiques qui ne voulaient rien négliger ajoutèrent même un théâtre pour les soins de l’esprit et trois sanctuaires pour ceux de l’âme. Paris ne fera pas fait mieux, mais bien plus tard, avec sa cathédrale, ses églises et son opéra Bastille. Il ne faudra, hélas, que quelques siècles pour que tous ces édifices disparaissent. Les thermes, les sanctuaires et le théâtre devinrent bientôt un gisement facile pour les pierres de construction extraites, à l’origine, de l’impact de la météorite tombée sur la région deux cent cinquante millions d’années plus tôt. Veaux, vaches et moutons broutèrent ensuite paisiblement au milieu de champs retournant peu à peu à la friche. Ne restera dans la mémoire des paysans du lieu qu’une légende un peu fumeuse concernant de vagues souterrains qu’on supposa remonter aux temps médiévaux. Sans l’acharnement de quelques gamins qui y jouaient lors du patronage paroissial du jeudi, l’Histoire aurait définitivement tout oublié. Elle nous montre aujourd’hui combien sont fragiles nos orgueilleuses cités tentaculaires, avec leurs tours toujours plus hautes, leurs marchés toujours mieux achalandés, nouveaux temples mercantiles d’une société éparpillée, et leurs circuits virtuels d’une connaissance éphémère. Qu’en restera-t-il dans quelques siècles ? Faudra-t-il à nos successeurs tout réinventer et tout rebâtir après avoir tout oublié ? Est-ce ainsi que le monde court joyeusement vers son avenir qu’il espère toujours plus radieux ?