Christophe Grossi | [Mi ricordo]

Publié le 10 octobre 2014 par Angèle Paoli
« Poésie d’un jour

[MI RICORDO]

145. Mi ricordo
de la bouche de Silvana Mangano.


146. Mi ricordo

de « si ton métier est de t’intéresser à tous,
commence donc par t’intéresser à l’un d’eux,
rien qu’un seul ». (Silvio D’Arzo)


147. Mi ricordo

de jambes nues sous les robes et de jambes
coupées, de gens bons, fumés ou brutaux, de
gens mal armés, d’enjambées entamées.


148. Mi ricordo

de villes et de soldats détruits, de voleurs
de cadavres et de bicyclettes, de gens qui ne
parvenaient plus à se sentir.


149. Mi ricordo

quand les candidates devaient montrer
qu’elles avaient un beau sourire parce
qu’elles utilisaient une nouvelle pâte
dentifrice.


150. Mi ricordo

que pour Silvio D’Arzo s’intéresser à
quelqu’un c’est s’y intéresser « jusqu’au
bout, au bas mot : jusqu’à la racine ».


151. Mi ricordo

que parfois nous aimerions savoir à quel
moment précis notre vie a basculé.


152. Mi ricordo

d’un soir doux et de cette rue raide où
berner les âmes, lécher les larmes, flamber les armes, sécher les lames.


153. Mi ricordo

des branches qui enlaçaient la maison et
des ombres à midi derrière les volets : des
mèches de cheveux sur des yeux baissés.


154. Mi ricordo

quand il zigzaguait entre les hypothèses du
passé familial, des pointillés sur sa route.


155. Mi ricordo

d’une phrase jaune dans la nuit : On avait
lâché les fauves d’anciens frères devenus des
phares ennemis.


156. Mi ricordo

De la machine à écrire mécanique portative
Lettera 22 créée par Marcello Nizzoli pour
Olivetti.


157. Mi ricordo

de la tempête bien plus violente dedans
dehors quand il a appris qu’un ancien
bourreau était devenu conseiller municipal.


158. Mi ricordo

d’une langue pendue au bout d’un non vous
ne saurez rien.


159. Mi ricordo

que les vieux Fenoglio étaient « sans métier
et sans religion, tous impudents et tous
amoureux d’eux-mêmes. »


160. Mi ricordo

du très beau portrait que Natalia Ginzburg
fait de Pavese peu de temps après sa mort
sans jamais le nommer une seule fois.


Christophe Grossi, Ricordi, L’Atelier Contemporain | François-Marie Deyrolle Éditeur, Strasbourg, 2014, s.f. Dessins de Daniel Schlier.



CHRISTOPHE GROSSI

Source

■ Voir aussi ▼

la fiche de l’éditeur sur Ricordi
→ (sur [déboîtements]) une présentation de Ricordi lors d’un entretien de Christophe Grossi avec Delphine Japhet
→ (sur Les Carnets d’Eucharis) une note de lecture de Nathalie Riera sur Ricordi
→ (sur Liminaire) une lecture de Ricordi par Pierre Ménard
→ (sur lelitteraire.com) une recension de Ricordi par Jean-Paul Gavard-Perret




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