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Carnation**

Publié le 11 octobre 2014 par Zebralefanzine @zebralefanzine

Critique et romancier en vue, Frédéric Beigbeder avance que l’autodérision est l’ingrédientwebzine,bd,zébra,gratuit,fanzine,bande-dessinée,kritik,critique,xavier mussat,carnation,casterman,autobiographie,autofiction,michel ocelot,kirikou,frédéric beigbeder indispensable d’une bonne autobiographie. On évite ainsi d’infliger au lecteur une sorte d’examen de conscience à la fois pénible et plus obscène que l’exhibition de la chair.

De fait, la force d’ouvrages tels que les « Confessions » de Rousseau, le « Candide » de Voltaire, ou encore « Mort à crédit » de Louis-Ferdinand Céline, tient largement à la capacité d’autodérision de leurs auteurs. On  fait plus souvent référence au style de Rousseau ou à ses idées morales, mais il suffit de lire ou de relire les premiers chapitres des « Confessions » pour s’apercevoir qu’il est aussi un auteur plein d’humour.

« Carnation » est le récit des illusions et désillusions sentimentales d’un jeune dessinateur, Xavier Mussat, demeurant à Angoulême après y avoir fait ses études, puis entamant une carrière dans le dessin-animé (sous la houlette de Michel Ocelot/Kirikou). Pas ou peu d’autodérision dans ce récit autobiographique, cependant l’auteur évite l’écueil de l’auto-complaisance. Il a le mérite de suggérer que la conjugaison de deux âmes un peu paumées est sans issue qui ne soit fatale ; et de rappeler aussi cette vieille analogie qui remonte à l’Antiquité, entre les amours humains et la prédation ou la chasse (indiquée par l’arc et les flèches d’Eros), en se représentant d’emblée, dès les premières pages de ce récit qui en compte 250, sous l’apparence d’un vautour. Le lecteur est ainsi incité à se poser la question : - Quel sorte de prédateur sexuel suis-je ?, de façon utile en des temps où, pour le besoin de la consommation, les publicitaires martèlent et forgent du matin au soir une idée de la liberté comme la satisfaction de l’instinct ou de la passion, afin d’augmenter les recettes.

Cette figure du vautour, sur laquelle l’auteur aurait été mieux inspiré de se concentrer afin de lui donner une tournure plus poétique, est une figure baudelairienne particulièrement moderne. Contrairement au tigre ou au lion, le vautour humain, dévoreur de charognes et non de proies vives, peut plus facilement se bercer de l’illusion de l’amour ; en effet, il ne tue pas lui-même mais se nourrit de proies mortes. Les femmes, autour desquelles X. Mussat tourne, ont toutes eu le cœur brisé par quelque jeune fauve.

La patience dont fait preuve Xavier Mussat, doté d’un physique plutôt ingrat, à l’égard de jeunes femmes belles et désirables qui ne consentent que de guerre lasse à le laisser entrer dans leur lit, prouve à ses yeux qu’il les aime et ne se contente pas de les convoiter. X. Mussat se comporte comme un bon Samaritain du sexe. Mais les vautours ne font-ils pas que se délecter des restes laissés par les tigres ?

Cette peinture de mœurs conforte Nietzsche, contempteur radical de la culture moderne, sa démonstration que dieu est passé dans les mœurs ; autrement dit, les rapports amoureux dans la société moderne reflètent une idée de dieu, issue de la morale judéo-chrétienne et de sa mise en valeur de la souffrance et de la passivité. La connotation macabre du duo amoureux central que forment Xavier et Sylvia, jeune Briochine mi-allumeuse, mi-allumée, connotation renforcée par un dessin plutôt atone, souligne encore que la mort fait office, dans l’éthique moderne, de modèle ou d’idéal de pureté. Souvent cité sur les plateaux de télévision, Nietzsche ne l’est malheureusement presque jamais pour ce qu’il dit de plus intéressant, à savoir que la culture moderne occidentale est excessivement religieuse en comparaison de la culture antique. La place grandissante prise par la fiction ou l’onirisme dans l’art moderne trahit aussi cet excès de sentimentalisme religieux.

L’amour humain est tout aussi improbable que l’existence de dieu, et ces deux preuves sont liées. C’est là le point positif de « Carnation » et la morale qu’on peut en retirer. En détruisant les preuves de cet amour, qui prenait la forme d’un érotisme bizarrement altruiste, X. Mussat atteint une sorte d’athéisme amoureux, meilleur garant d’une conscience lucide dans une société dont la culture est très largement régentée par le principe dit du gadget ou de « l’attrape-couillon ».

Carnation, par Xavier Mussat, Casterman, 2014.


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