12 octobre 1914
Ma bonne Cécile
Je suis en possession maintenant de tes lettres du 20, 21, et 25 septembre. Bien en retard elles n’en causent pas moins de joie. Je constate que ce retard s’applique également à toi puisque tu sais seulement depuis le 25 que nous sommes embarqués. Mes lettres précédentes que tu as reçues depuis je pense, t’ont appris où j’étais puisque je t’ai envoyé des cartes d’Amiens et chaque jour une lettre ou une carte.
Je suis peiné de ce retard, car à l’angoisse que je ressens en voyant le vaguemestre distribuer ses lettres, je me rends compte de ce que tu dois éprouver toi-même. Tu peux te rassurer, bien que ne disposant pas de parapluie, je n’ai pas été transpercé par la pluie, ou j’avais la chance d’être à l’abri au moment des grosses averses ou il ne pleuvait pas où je me trouvais. En ce moment où les nuits sont plutôt froides, j’ai la chance au village voisin où j’ai trouvé un matelas, comparable à un trône auprès de l’abri des tranchées. C’est comme notre guerre, du temps passé c’est-à-dire gagné. Nous continuons à ne manquer de rien, les hommes malgré la disparition des officiers se conduisent bien. Malheureusement les territoriaux normands ne ratent pas une occasion de f…. Le camp. Les lâches, les lâches. Même engeance que les méridionaux. Ah ! pauvre France. Le plus fort c’est que nous réussissons, non seulement à nous maintenir sur nos positions, amis encore à faire des centaines de prisonniers.
Je crois qu’un changement est proche. Il sera temps de filer, car le pays que nous occupons est ravagé et pressent e à peu près le même aspect que chez nous. La population présente la même soumission. Je crois même constater que ce sont ceux qui sont le moins éprouvés qui se montrent les moins complaisants.
Pour en revenir à notre correspondance, je crois qu’il vaut mieux continuer à mettre l’adresse suivante : Druesne Lieutenant Porte-Drapeau du 37e 20 corps d’armée Decize (et non plus Troyes)
Tu me demandes si je t’ai envoyé la feuille rose ? mais oui, elle est repartie le lendemain même, mais par la voie de l’intendance…
De même que le3, je t ‘ai envoyé un bon du trésor de 200 francs. Tu me diras si tu as bien reçu tout cela.
Je t’ai dit aussi dans une lettre précédente où nous étions. C’est un renseignement qui n’a plus d’importance pour l’ennemi, il me semble, car il y a assez longtemps que nous sommes nez à nez. Nous sommes à l’entrée du département du Pas de Calais à ses confins avec la Somme. Beaux pays, je le répète ;, mais auxquels l’état actuel donne une physionomie particulière que je t’ai si souvent décrite. Je te répète encore une fois que je ne manque de rien. Hier on a distribué de magnifiques ceintures de flanelle aux territoriaux, je leur en ai volé une. Le calot de laine que tu m’as envoyé me sert bien chaque nuit. Je me suis acheté une cravate en flanelle bleue qui me sert également, au moment du rafraîchissement de la température. J’ai fait clouter mes souliers. J’ai pu aussi faire laver mon linge par Maeglé à l’arrière... Ce dernier est toujours officier payeur et n’a pas voulu non plus prendre de compagnie. Il est très gentil pour moi.
Voilà ma chérie, tout ce que je vois de nouveau. C’est malgré le bruit ininterrompu de la canonnade et même de la fusillade, le calme plat, jusqu’à quel moment cela va-t-il durer ?
Est-ce vrai que nos troupes sont à Morange, ce tombeau d’une partie du 37e ??
Amitiés à tous dont tu ne me parles pas (voisins, amis… etc) embrassades à Loulou pour lequel tu feras ce que tu jugeras bon au sujet du lycée.
A toi chérie, les meilleurs baisers de ton vieux militaire.
J.Druesne
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12 octobre 1914 (JMO du 37e RI)
Stationnement dans les mêmes conditions que la veille. Il y a eut dans la nuit du 11 au 12 une attaque sur Foncquevillers par les allemands. Le sous-lieutenant Masson est tué et disparu avec une grande partie de sa section. La 3e section de mitrailleuses a été fortement éprouvée.
Le capitaine Cordelas est remplacée dans le commandement de sa compagnie.