Magazine Journal intime

Contes pour Salilus – Shakespeare et compagnie

Publié le 12 octobre 2014 par Stella

Shakespeare

Jean-Baptiste l’avait lu sur son guide : « Lorsque vous serez à Paris, promenez-vous sur les quais de la Seine, si romantiques en automne. Laissez vos pas vous guider, et vous vous retrouverez certainement devant Shakespeare and company, l’une des plus fameuses boutiques du quartier latin. » Créée au début du siècle, installée sur le quai Saint-Michel dans les années 1950, c’est une non seulement une librairie indépendante mais également une bibliothèque spécialisée en littérature anglophone. Au premier étage, elle accueille des Tumbleweeds, des voyageurs au long cours dont la particularité est peut-être que, comme la graine de cactus légère et poussiéreuse, seul le vent les pousse et rien ne les retient.

Jean-Baptiste avait apprécié le commentaire et rêvait de ce lieu qu’il imaginait fantastique. Il ne croyait pas si bien dire.

Quand il se retrouva, quasi inopinément d’ailleurs, devant le portrait gravé de Walt Whitman qui sert d’enseigne à la librairie, il eut un temps d’arrêt. Située dans un recoin du quai, elle aurait pu passer inaperçue s’il n’y avait pas eu cette foule devant l’entrée. D’un coup, l’ambiance devenait particulière. Des musiciens de jazz s'étaient emparés d’une petite estrade près d’un banc et leurs notes de musique s’élevaient tout doucettement vers la cime des arbres. Des auditeurs attentifs étaient assis sur un muret, un soda ou une glace à la main. Dans leur dos, un jardin hésitait entre la friche sauvage et le parc à l’anglaise et faisait fonction de séparation physique entre la rue pavée qui longe la librairie et le quai, envahi par la circulation automobile et les touristes. Il diffusait comme une fraîcheur et assourdissait le vacarme le la ville. À une portée de fusil s’élève depuis toujours la cathédrale Notre-Dame de Paris. Ses tours bienveillantes surveillent du coin de l’œil, paupières à demi-abaissées, toute cette agitation humaine, si vaine et si changeante.

Sur le trottoir, passants et chalands se pressaient devant l’entrée de la librairie. La petite porte à côté de la vitrine semblait impuissante à venir à bout de cette étrange affluence. Pour attirer et distraire avant de pénétrer dans l’auguste maison, des tas de vieux romans au format de poche, reliures cassées et pages cornées, s’offraient aux mains avides ou baladeuses, débordant de bacs en bois brinquebalant. Ces caisses à savon ont ceci d'étonnant que chacun, qui que l'on soit, y trouve toujours le titre dont il a envie, dont il se souvient ou qu'il cherche depuis des années. Plus loin, des chaises en ferraille déglinguées, supposées accueillir des lecteurs fatigués, servaient de cadre avantageux aux touristes de passage pour la photo souvenir.

Jean-Baptiste marqua un temps d’hésitation. Devait-il ? Pouvait-il pénétrer dans ce qui semblait être le Temple, avec un grand « T », de la culture anglo-saxonne ? Lui qui savait à peine dire bonjour en anglais… il lui semblait largement illégitime de se mettre dans cette cohue jargonnante jusqu’à ce qu’il se rende compte que la majeure partie des gens étaient francophone. Shakespeare and Company était-elle donc si célèbre que l’on y venait davantage pour y être que pour y acheter des livres ? Interloqué, Jean-Baptiste marqua un temps d’arrêt face à la devanture chargée de vénérables ouvrages dont il ne percevait qu’à peine l’intérêt historique. Il resta immobile de longues minutes. Autour de lui, s’installait comme un silence. Par-dessus les épaules des visiteurs qui pénétraient à petits pas à l’intérieur du magasin, il apercevait des étagères surchargées de livres, stockés verticalement jusqu’au plafond, empilés le long des plinthes, qui semblaient occuper le moindre interstice. Attiré, il décida d’entrer…

(à suivre)

photographie : (c) Momo-fait-de-la-photo


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