« Écrire est un besoin féroce, tragique, chez tous les écrivains et souvent davantage chez les mauvais que chez les bons. » Raymond Queneau
Je crains fort d’être dans un temps de misères et non de splendeurs. Je crains également de faire partie des « mauvais » dont parle Queneau. Mauvais comme dans « mauvais livre » dont parle Laferrière dans son Journal d'un écrivain en pyjama. Même si je ne sais pas ce que veut vraiment dire mauvais. Mauvais pour qui? Peut-être ennuyant pour un lecteur et pas l’autre, impubliable pour un éditeur et pas l’autre. Exemple : être un éditeur, je n’aurais jamais accepté de publier, même pas de lire, les premières pages de La déesse des mouches à feu de Geneviève Pettersen. Pourquoi?
« Il y aurait tout un débat à faire sur la qualité du français, la place de la langue orale dans notre littérature nationale », Philippe Garon.
De cette langue écrite, il en fut à peine question parmi les lecteurs de Châtelaine >>>
Parce que pour moi, on ne laisse pas le mot « canceller » dans un roman écrit. Entre autres. C’est viscéral : je ferme le livre sans lui donner aucune chance. Bien sûr, avec des raisonnements semblables, Michel Tremblay n’aurait jamais été publié. Je me calme, sans pour autant rouvrir le roman, j’essaie de nuancer, de me dire qu’il en faut pour tous les goûts, de tous les genres, de tous les styles. Qui suis-je pour juger de la qualité d’une oeuvre? En fait, il ne s'agit pas de la qualité du roman, il s'agit du choix délibéré de laisser les anglicismes. Le joual dans les dialogues, je ne suis plus contre, c'est notre réalité, mais les anglicismes, pas capable. Autant les accepter carrément dans les dictionnaires, là, tout de suite. Autant dire que tout le travail de Marie-Éva de Villers et plusieurs autres ne servent à rien. Autant clamer haut et fort que ça ne vaut pas la peine de se forcer à préserver notre français.
Quel français? direz-vous. À vous le débat, je retourne à la correction de mes propres écrits.
Variante sur un même sujetSur ma tombe ou mon urne funéraire, on pourra écrire : « Elle aura beaucoup écrit ». Pas beaucoup publié, pas tellement lue, mais elle aura écrit. Bien, ça dépend tellement de nos valeurs. Bien pour quelques personnes, mais pas assez pour les éditeurs, il faut croire. Eh ! oui, j’attends toujours une réponse d’éditeur-s et cette attente m’envoie directement dans le doute, bien plus près des misères que des splendeurs. Dans la paralysie du prochain roman. À quoi bon continuer? me dis-je.
Et si le premier objectif d’une personne qui écrit, qui chante, qui peint, qui danse, beaucoup ou peu, bien, très bien, mal ou très mal n’était que de s’exprimer? Alors, là, je suis championne.
Avant de brûler tous mes écrits, je me secoue, je vais dehors prendre l’air de cet automne coloré. À quoi bon la mésestimation inutile?
Quand j’écris, que tout coule, je ne me soucie pas de savoir si c’est bon ou non ! C’est quand une question surgit, quand un mur se présente, que tout s’arrête, mis en suspens tant que la question ne se règle pas.
Et la question revenue pour la nième fois est : qu’est-ce qui arrive aux personnages? Inspirée de mes ancêtres irlandais, c’était facile d’inventer ce que je voulais pour les années 1850. Pour la suite (pas encore publiée, pas encore acceptée, ma patience est mise à rude épreuve), j’ai eu un peu de mal, mais en changeant les prénoms, les personnes sont devenus des personnages, mais là, pour la finale, les personnages s’inspirent de ma génération. Je ne veux pas que ce soit uniquement de ma vie. Je ne veux pas que ce soit la vie des membres de ma famille, tout morts soient-ils. Même si je n’ai pas beaucoup d’imagination, aucune envie d’écrire des biographies, ni la mienne ni celles de mes parents (pour mon père, c’est déjà fait, ce fut facile, je n’avais pas besoin de romancer, d’inventer, juste me souvenir et poser des questions au principal intéressé). Cette fois, pour les besoins de dramatisation, je veux des conflits, des colères, des infidélités, des départs, des incidents qui n’ont pas existé dans ma famille. Ou s’il y en eut, forcément qu’il y en eut, mais à doses anodines qui ne regardent que nous.
Une façon de m’en sortir : ne pas écrire au « je », c’est déjà prendre une distance, une dépersonnalisation. Et puis changer les lieux. Ce sera plus difficile. Je voudrais tellement présenter ma région, qu’on sente l’amour que j’ai pour elle. Faire de moi un Fred Pellerin-de-Saint-Élie-de-Caxton, faire de moi une Mylène Gilbert-Dumas dans son Yukon adoré. Fausse pudeur, retenue, réserve, sauvegarder ma vie privée? Ne pas me faire poser de questions ? Tout ça. Écrire, c’est s’exposer, je sais bien. Et aujourd’hui, qui est-ce que ça gêne? Que moi.
Et vous, quelles sont vos misères d’aujourd’hui ?