CHEZ MOI LA MORT ÉTAIT PARTOUT...
Chez moi, la mort était partout, mais tue !
Elle déposait une fine couche de poussière où le corps enfantin était pris, comme momifié dans son élan propre. Elle tissait des draps où s’étouffaient les questionnements vifs, les humeurs jubilatoires, les interrogations premières.
La mort avait force de loi, présente dans son inachèvement, bouclée à tours d’ivoire, louche, double.
Elle montrait ses dents de lait, perçait les gencives du rêve, pointes minuscules et lancinantes.
Chez moi la mort était drapée de déni !
Voilée d’innocence !
N’ayant droit de cité, elle s’octroyait droit de cuissage. Elle flottait dans la nuit et sur les rêves établissait son empire-succubes-incubes qui peuplaient l’atmosphère de vibrations délétères. Elle occupait les jours de brisures d’élans et du poids de l’absence. Mais quelle absence ?
Alors dehors creuser le questionnement.
Dehors ! Interrompre les processions laborieuses des fourmis. Serrer leur taille jusqu’à la déchirure, gainer leurs hanches de doigts oppressants, écraser leurs yeux contre la pierre.
Fourmis torturées — inertes — quand les antennes de frémir s’arrêtaient.
C’était donc cela la mort ? Si simple !
Si facile à infliger ? Si facile à rencontrer ?Cadavres de fourmis dépecés — démembrés — recueillis pour un rite — à chaque fois grandiose — pour recomposer la possibilité du vivre — ranger les cadavres dans une petite boîte, bien alignés, bien immobiles — creuser — creuser la terre — tunnel — à leur place — rapter leur labeur — puis déposer la boîte — recouvrir de fleurs — pissenlits ou liserons — couches douces offrandes d’une dernière beauté. Et la terre ! Cacher le meurtre – et
ériger une croix avec quelques brindilles et puis proférer des liturgies insensées, d’approximatives litanies, des prières inversées pour une résurrection de pacotilles — et les
pleurs libérés — qui dans la terre se mêlent à la voix qui cherche la jonction, la raison d’être là dessus plutôt que dessous.
Sylvie Brès in Revue Mange Monde n° 7/juillet 2014, « Regard sur… les Femmes-Poètes », Raphaël de Surtis éd., 2014, pp. 40-41.
SYLVIE BRÈS
Source
■ Sylvie Brès
sur Terres de femmes ▼
→ [Dès que vivant | nous côtoyons la mort] (poème extrait de Cœur troglodyte)
→ [Territoires incertains] (poème extrait d’Une montagne d’enfance)
■ Voir aussi ▼
→ (sur le site du Festival Voix de la Méditerranée, Lodève) une fiche bio-bibliographique sur Sylvie Brès (+ deux poèmes extraits de L’Incertaine Limite de nos gestes et de Cœur troglodyte)
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