Il n’y a rien de pire que la culture américaine, sauf les tentatives françaises de l'imiter. Par exemple : quand les séries policières US parviennent à faire oublier quelque peu l'incompétence légendaire des services de police (le faible taux de crimes élucidés) en ressassant l'argument scientifique, leurs imitations françaises auraient plutôt l'effet inverse.
Citons encore les romans de Frédéric Beigbeder, meilleur critique que romancier franco-américain. Et les sagas de science-fiction mystique imbitables façon Maurice G. Dantec. Les romans d'espionnage de Jean-Patrick Manchette n'ont pas très bien vieilli non plus, dépassés par l’affaire du "Rainbow Warrior", bien plus riche en rebondissements comiques.
La tentative simultanée d'imiter les Etats-Unis sur le plan économique s'est elle aussi avérée peu concluante, si ce n’est catastrophique, et l’Europe un « machin » technocratique pire que les Etats-Unis, mieux armés pour la guerre économique. La dernière chose qu'on peut reprocher à Eric Zemmour dans son récent "best-seller", c’est de souligner le fossé qui sépare la culture française de la culture américaine (le fait d’établir un lien de cause à effet entre Mai 68 et l’américanisation forcée de la culture française est plus contestable, sachant comment est produite et diffusée la culture de masse américaine).
Plutôt que lire Zemmour, on ferait mieux de relire Tocqueville ; l'espoir que cet aristocrate catholique plaçait dans la démocratie américaine n'était qu'à moitié naïf, car soumis au progrès de la culture américaine, que Tocqueville juge très sévèrement dans « De la Démocratie en Amérique » (notamment à cause du génocide des Amérindiens dû à la cupidité des premiers colons). De même Tocqueville était conscient de la différence entre la science utilitaire et la vraie science « consciente », différence gommée dans les régimes totalitaires.
Mais revenons à « Bonbons atomiques » ; le début est plutôt convaincant. Anthony Pastor parvient à imiter ces polars américains dont le but n’est pas de dérouler le fil d’une enquête policière, mais plutôt de brosser un portrait de la société américaine, ou d’une de ses zones marginales, plus pittoresques que le cœur du système, policé à l’extrême. A. Pastor parvient à rendre cette ambiance américaine si particulière et sans doute oppressante pour un Français à cause de la paranoïa généralisée qui règne, et qui suffit à justifier l’Etat policier aux yeux de la majorité des citoyens américains.
Le personnage principal Sally Salinger, mère de famille divorcée et contrainte de reprendre le job de détective de son mari pour subsister est assez convaincant. La société américaine est en effet la société de la permutation des sexes. Aux Etats-Unis où les femmes partagent plus équitablement le pouvoir avec les hommes qu’en France, certaines femmes sont déjà un peu lassées de cet avantage, car l’exercice du pouvoir n’est pas une sinécure.
On est d’autant plus déçu quand ce décors et ces personnages une fois bien campés, grâce à un dessin qui fait assez « américain » sans tomber dans la caricature, le récit commence à tourner en rond. Sans doute les personnages et les digressions sont-ils trop nombreux. L’auteur a trop voulu en mettre dans un seul roman. Il subit un peu la loi du genre sociologique, plutôt qu’il ne la maîtrise complètement. Même si l’intrigue n’est pas le principal, elle doit être soignée. Au milieu du récit, le scénario commence à prendre l’eau, le tout s’achevant dans une course-poursuite et une fusillade de série B. C’est dommage, car le plus difficile était fait.
Bonbons atomiques, par Anthony Pastor, Actes Sud, 2014.