Hollywood n’a pas trop attendu pour mesurer l’impact de la série télévisée sur le public américain. Le spectateur moyen désormais habitué à suivre des intrigues complexes aux multiples personnages ne peut plus se contenter d’un scénario en trois actes ou d’une simple unité de lieu et d’action. Christopher Nolan et son scénariste David Goyer l’on très bien comprit, donnant une dimension « feuilletonnante » à leur version de Batman.
Conçu au départ comme un diptyque puis finalement comme une trilogie, le projet Dark Knight se veut une plongée réaliste et urbaine dans le monde des super Héros (les références de Nolan étant French Connection et Serpico). Cette approche, même si très alléchante n’est pas nouvelles pour les fans du Comics. En effet de nombreuses bandes dessinées mettant en scène le « cape crusader » proposaient déjà une approche similaire. Les deux grandes influences de Nolan et Goyer en la matière sont le "Year One" de Frank Miller (avec pour héro un jeune commissaire Gordon au prise avec la corruption de Gotham city) et "The Long Halloween" de Tim Sale et Joseph Loeb qui inspireront fortement le deuxième opus de la franchise. Nolan et Goyer vont allégrement piocher dans ces deux ouvrages pour concevoir leur scénario (ils le reconnaîtront eux même, Nolan signant la préface de la réédition du Long Halloween).
Ils vont donc démultiplier les personnages et les enjeux jusqu'au point de courir le risque de diminuer considérablement la place de Batman (et son alter égo Bruce Wayne) au sein du scénario. Le spectateur est amené à s’identifier principalement avec les seconds rôles et non plus avec notre héros masqué qui devient alors une figure plus symbolique que véritablement incarné. Afin de rendre lisible cette intrigue très complexe, Nolan va surtout soigner le montage de son film. En effet si sa réalisation peut sembler par moment peu inspirée et impersonnelle (une bonne partie tournée par une seconde équipe) c’est par l’enchainement des séquences que Nolan ambitionne de rendre intelligible et efficace son intrigue tortueuse. Si ses intentions sont louables et traduisent une vraie ambition de cinéma, à la vision du premier volet de la trilogie (« Batman Begins ») force est de constater que ça ne fonctionne pas tout à fait. La faute à un montage tellement elliptique que le spectateur n’a jamais vraiment le temps de se passionner pour les multiples enjeux du film. De plus, en supprimant les trois quart des plans nécessaires à leur compréhension, les scènes d’action deviennent totalement illisibles (on comprend en gros que Batman fout des tatanes aux méchants mais c’est à peu près tout). En résulte un film ambitieux mais profondément indigeste. Hors pour « The Dark Knight », le second volet, le procédé va miraculeusement fonctionner.
Aidé par son frère, Nolan ressert les enjeux du script sur quatre personnages principaux (Wayne, le Joker, Harvey Dent et Gordon). Gravitant autour de ces quatre pôles, le spectateur peut ainsi mieux apprécier la minutie du scénario. Nolan s’inspire également de la structure chorale et de l’esthétique « bleu High Tech » du film « Heat », qui la profondément marqué à sa sortie. La trépidante course poursuite nocturne (sans musique de fond) est un hommage évident à la fameuse fusillade du chef d’œuvre de Michael Mann. De plus, Nolan va compter sur un effet de surprise que ni lui ni le public n’auraient put anticiper, la performance assez hallucinante d’Heath Ledger dans le rôle du Joker. Le résultat est bluffant. C’est une révélation même, son interprétation devenant immédiatement culte auprès du public. Il est l’incarnation malade du chaos et par opposition révèle toute la complexité du personnage de Batman (jusqu’où aller pour faire régner l’ordre) ainsi ce dernier peu enfin exister à l’écran. Cette confrontation nourrit également les trajectoires de Dent et de Gordon qui du coup ne sont plus superflus. Après deux heures vingt de film sous tension et remplie ras la gueule de rebondissements en tout genre, Nolan a même le culot insensé de terminer son film par une scène anti spectaculaire au possible mais chargé d’enjeux dramatiques « cutant » pile au bon moment laissant au spectateur sous le choc à peine le temps de reprendre son souffle.
Un mot sur la musique, composée par le duo Hans Zimmer et James Newton Howard, elle offre à la fois des moments de franche mélancolies (montées de cordes lacrymales) et des passages « boostés » par une rythmique martiale qui ne semble jamais s’arrêter (aussi bruyante qu’une division de panzer). Cette combinaison sert le film, lui procurant une dimension tragique supplémentaire. Elle nous rappelle le contexte dans lequel il a été conçu. Le 11 septembre n’est pas si loin et la référence au "Patrioct Act" semble évidente (le sonar inventé par Lucius Fox*).
Tout cela fait de « The Dark Knight » (dans sa description d’un monde au bord du chaos où la notion de justice doit être redéfinie) un film qui capte l’air du temps. A sa sortie c’est un véritable phénomène culturel doublé d’un succès planétaire qui plonge Nolan dans une profonde perplexité. En effet il avouera peu après ne pas savoir comment faire aussi bien. Et effet « The Dark Knight Rise », le troisième volet de la franchise, s’effondrera sous ça propre ambition proposant un script absurde et mégalo. Nolan passant son message au dessus de tout rendant inconsistant la dimension mythologique de ses personnages. Cependant, il faut tout de même saluer l’ambition artistique de sa démarche. En déconstruisant le personnage de Batman il est parvenu à aller au bout de son idée de départ (pas forcement très vendeuse commercialement parlant). En offrant une vision singulière de cet univers et de ces codes il nous propose une vraie conclusion à l’histoire.
P.S:Merci à Vincent pour l'impulsion.
*D’ailleurs la dessus le film est très ambiguë car il semble le justifier en certaines circonstances exceptionnelles.