C'est donc ainsi que va se conclure une belle aventure d'un peu plus de sept années. Eh oui ne venez pas, ami lecteur, faire l'étonné : la chose avait été annoncée en conclusion du précédent billet. Clairement, il m'est apparu que, puisque j'ai toujours considéré que même les meilleures (en admettant que ce blog ait été une bonne chose, bien sûr ; je vais avoir la prétention un peu immodeste, à l'heure du bilan, de considérer que oui ...) choses ont une fin, l'instant était venu de mettre un terme à cette délicieuse aventure bloguesque. Car, peut-être ne me démentirez-vous pas, j'ai l'indicible sentiment que, même si j'avais encore quelques projets de billets (car il y a toujours des idées, bonnes ou mauvaise), j'ai globalement, en plus de 800 billets, fait le tour de la question Wikipédia, tout en éprouvant, tout de même, une certaine lassitude après des années de dur labeur sur ce blog. Jadis, j'étais pourtant capable d'enchaîner des semaines complètes au rythme d'un billet par jour. C'était aux temps quasi-préhistoriques où, jeune et primesautier, je découvrais les joies du blog, d'autant plus amusantes qu'elles étaient (et le sont demeurées jusqu'au bout) totalement anonymes. Toute rhétorique que puisse apparaître la séance des adieux, je me dois, au vu de ce grand passé, long à défaut d'être forcément glorieux, d'y souscrire. Bien entendu, et je vous rassure sur ce point, il ne s'agit pas pour moi d'une corvée, ni même d'une tristesse. J'ai un petit pincement au cœur, certes, mais je vais le combler en essayant de ne pas faire de ce billet une simple lettre d'adieu, sans autre forme de procès. Procédons donc par ordre : j'entends faire de ce billet le bilan de Wikirigoler, y livrer mes dernières impressions générales sur Wikipédia et tenter de voir quel pourra être son avenir à plus ou moins long terme. J'entends proposer un certain nombre de pistes, comme le dernier morceau d'un disque un peu usé. Je vais tirer l'ultime cartouche de ma boîte à idées.
L'inévitable bilan
L'heure du bilan donc. Bilan comptable, tout d'abord : il y aura eu en tout 816 billets publiés (dont 41 invités) et, à l'heure où j'écris ces lignes, un total de 368 640 pages vues et 138 004 visiteurs uniques. Méticuleux, le comptage réalisé par Overblog, n'est-ce pas ? C'est en tout cas une dimension à prendre en considération, même si ces chiffres ne sont pas, bien évidemment, ce que je retiendrai prioritairement de cette formidable expérience. Mais la simple traduction quantifiée d'un travail né d'une passion, Wikipédia, et d'une volonté de l'aborder avec un petit grain de folie un peu original. C'est de cet aspect dont je préférerais parler, en vous contant mes joies et mes peines, comme dirait l'autre. Cela dit, je me rends compte que, des peines, il n'y en a pas vraiment eu, sinon celles inhérentes à tout effort intellectuel et d'écriture. Pour la joie, ce fut surtout celle de pouvoir organiser un certain nombre de pensées, de réflexions pour, à mon modeste niveau, faire progresser Wikipédia avec quelques petites pistes à travailler ; en revanche, les coups de gueule, les billets d'humour, les gribouillages, les consternations nées de certains comportements communautaires n'ont provoqué qu'une petite joie très fugace, et le plus souvent, en réalité, de l'exaspération et des soupirs. Et les clans, n'en parlons même pas, même si les deux billets qui y ont été consacrés ont été les plus lus de l'histoire du blog, exception faite de celui dédié à l'émission Envoyé spécial. Mais oui, il y a tout de même un billet dont je suis un minimum fier et qui, je crois, résume en très grande partie ma conception globale de Wikipédia : c'est celui-ci, aussi je vous y renvoie.
Grossièrement, voilà donc résumées quelque sept années de blog. Qui ne sont pas ce qu'il y a de plus intéressant à analyser dans le présent billet : concentrons-nous de préférence sur Wikipédia. Oui, ce projet, disons-le tout de suite pour commencer, est probablement l'un des plus grands aspects de la démocratisation culturelle née de la révolution numérique. Celle qui a permis de favoriser l'accès gratuit aux savoirs, démocratisés, diffusés, en faisant appel aux ressources participatives de tout un chacun. Sans la verticale professorale du savoir qui était auparavant l'unique mode de transmission envisagé : Wikipédia est horizontale. Pour sauver le monde il faudra repasser, mais pour contribuer à sa transfiguration, l'effet est indiscutable. Pour sauver la culture, il en faudrait encore plus (par exemple un accès généralisé à Internet) mais le moins qu'on puisse dire est que c'est un excellent début ... Il s'agit maintenant, bien évidemment, de passer à la vitesse supérieure : en treize années d'existence, Wikipédia a grandi. Elle doit encore apprendre, à présent, à évoluer : l'immense problème qui se pose, à mon avis, ne vient ni du manque d'articles (tout l'essentiel est là), ni de la baisse du nombre de contributeurs (même s'il faut aussi la limiter), mais plutôt du manque cruel d'expertise sur certains sujets. Mieux vaut 70 experts que 700 amateurs, dorénavant, et pour parler crûment.
La clé de l'avenir
Mais je dois bien l'avouer : il y a un certain paradoxe apparent, de ma part, à appeler maintenant à l'expertise alors que je venais de célébrer l'horizontalité participative du modèle Wikipédia. Le paradoxe, cependant, n'est bel et bien qu'apparent. Plongeons dans la réalité et le pragmatisme : arrive un moment où le principe de Peter s'applique à toutes et tous ; ce moment où l'on arrive au stade de complétude de l'essentiel et de non-complétude des détails qui appellent des compétences particulières. Les distinguer devient indispensable, sans pour autant leur laisser la primeur ou l'exclusivité : il faut simplement les amener, les séduire, ou sinon Wikipédia, après des années de progression fulgurante suivie d'une évolution plus mesurée, entrera inévitablement dans une période de stagnation qualitative. Pour une fois, il faut se rendre à l'évidence : promouvoir l'égalité des sept milliards de contributeurs potentiels est une bonne chose, leur conférer par défaut les mêmes talents présupposés une idiotie. Plaindre le défaut inévitable du (remarquable) modèle historique ne sert cependant à rien, pas plus que le remettre en cause. Or, quelle autre solution, dès lors, que de se retrousser les manches pour, tout simplement, aller chercher ces contributeurs experts en passe de prochainement devenir indispensables ? Pour les y mettre de bon gré, en les convainquant que l'avenir est là, dans le bain de l'encyclopédie de demain. Le monde ne changera plus avec les livres et publications à accès restreint : il ne pourra s'élever massivement, en moyenne, qu'avec la révolution numérique de l'accès à la culture, et Wikipédia en tête de proue.
Sérieusement, je n'insiste pas autant, pour ce qui est ici en quelque sorte le testament de ce blog, sur ce point à mon sens fondamental par hasard. C'est, j'en suis intimement convaincu, la clé de l'avenir de Wikipédia. Et regretter le bon vieux temps (celui des débuts où l'on pouvait partir dans tous les sens) ne sera jamais la meilleure manière d'avancer. Je pense d'ailleurs, au passage, que la permanence, désormais jusqu'à la présidence, de vieux contributeurs à présent totalement éloignés de Wikipédia (voire de tous les projets), au sein du chapter Wikimédia France est un frein à ce mouvement indispensable, qui n'a pas encore l'air d'être franchement souhaité. Et oui, même si j'ai bien conscience que cette association n'est pas Wikipédia, et vice-versa, le rôle qui lui est dévolu, ainsi que sa visibilité médiatique, font qu'elle est pourtant la mieux placée pour mener ce travail de recrutement de l'expertise. Mais encore faut-il qu'elle s'en donne réellement les moyens ...
Revenons aussi (oui, je passe du coq à l'âne : je fais ce que je veux, c'est mon billet, et le dernier, en plus !), brièvement, sur l'aspect social et communautaire de Wikipédia. Le traitement que j'y ai apporté, de par ma vocation de chroniqueur, y a évidemment été important. De mes révélations parfois choc, à l'humour, en passant par le coup de gueule franc du collier mais aussi l'analyse un peu plus "sérieuse". Et visiblement, rien n'y a fait : le triste constat que je fais à présent est qu'il y a, et je pense durablement, au moins deux communautés qui tirent dans des directions opposées. Sans hésiter, le mot qui me vient alors à l'esprit pour décrire cette situation est celui-ci : sclérose.
Grandiloquent, peut-être, comme constat. Grave, assurément. Oui, vous pourriez, très cher ami lecteur, m'en faire le reproche (comme on a pu parfois me le faire, en quelques occasions par le passé). Non, ma légère exagération n'a rien d'outrancière. Dans le microcosme wikipédien d'aujourd'hui, j'observe ainsi trois éléments cruciaux : le premier, c'est que le fossé s'est irrémédiablement creusé entre des inclusionnistes qui veulent toujours plus et des suppressionnistes qui n'ont pas bougé d'un millimètre ; la deuxième, c'est qu'il n'y a plus de dialogue entre eux, d'où mon constat de l'existence, désormais, de deux communautés principales ; et la troisième, c'est que les guerres de clans ont, plus que jamais, tout pourri jusqu'à l'os, et même jusqu'à la paralysie d'à peu près tout ce que compte Wikipédia comme moyens de régulations (bon, d'accord, pour le comité d'arbitrage, ce n'est pas un mal ...). Bon alors, qu'y faire ? Et bien, c'est malheureux à dire, mais je ne vois pas, tout simplement, de solution à court ou moyen terme, à moins d'un véritable bain de sang, qui n'est vraiment pas ce qu'il y a de mieux à souhaiter. Voire, Wikipédia s'en relèverait, mais le mieux est encore d'envisager l'avenir : il apportera, à long terme la solution à ces divergences philosophiques originelles, mais plus que jamais fondamentales.
Derrière le masque
Sur ces bonnes (ou pas) paroles, il va être temps pour moi de prendre congé de vous, ami lecteur, très probablement pour toujours. Occuper, enfin, mon esprit à d'autres choses que l'alimentation de ce blog, malgré tout le plaisir et l'expérience que j'ai pu en tirer. Ah, hé oui c'est vrai ! J'allais oublier. Il y a une petite question que l'on m'a, bizarrement, souvent posé tout au long de ces années : mais Tonton Pierrot, bon sang, qui es-tu donc sur Wikipédia ? C'est, à mon avis, s'intéresser à ce blog par le petit bout, certes jouissif, de la lorgnette, d'ailleurs jamais ouverte puisque je n'ai jamais vu la vérité dans toutes les (nombreuses) hypothèses formulées ici ou là.
Sans pour autant que j'aie à toute force cherché à brouiller les pistes, il semble que ces dernières aient été suffisamment ardues à emprunter pour tout le monde (ou presque). Lutter contre cette possibilité m'aurait, de toute façon, été impossible. Oh, pourtant, il s'en est trouvé quelques-uns, à au moins deux occasions, pour approcher la vérité sans, toutefois, entièrement l'embrasser. Alors que, à mon humble avis — mais c'est le privilège de celui qui sait — elle n'était pas si difficile à deviner ... Mais elle restait délicate à discerner. Car, comme toute évidence qui se respecte, elle crevait tellement les yeux (sur son principe) qu'on ne pouvait plus, en effet, la voir. De toute façon, comme je l'ai déjà indiqué, mon identité crypto-secrète n'était en rien l'élément le plus important de cette belle aventure. Alors le mieux est plutôt de retenir le contenu, la substance que je me suis efforcé d'apporter pendant de si longues années, avec un seul tryptique d'objectifs en tête : informer, distraire et faire réfléchir mes lecteurs. Et j'aimerais d'ailleurs, amis lecteurs, vous remercier du fond du cœur : sans vous, sans un lectorat qui est demeuré stable malgré les années qui passent (même si évolutif, en même temps, bien sûr, qu'évoluait la communauté wikipédienne), ce blog n'aurait évidemment eu aucune raison d'être. Encore moins de persévérer sur une voie qui, je l'espère, vous aura globalement satisfaits. Même si je n'ignore pas les critiques qui ont pu m'être adressées à l'occasion et qui ont parfois été, d'un certain point de vue, pertinentes (je me suis efforcé d'en tenir compte mais j'ai toujours voulu, surtout, garder le cap que je m'étais, dès le départ, fixé). Mais pour autant, je ne regrette rien de ce que j'ai pu faire et écrire, et ce d'autant plus que partir avec des regrets serait la plus mauvaise des façons de partir. Je veux que mon karma me permette d'investir le cœur léger les nouveaux projets qui s'ouvrent à moi, maintenant que j'aurai un peu plus de temps à y consacrer. Avec Wikipédia au centre, tiens, de mes nouvelles attentions : je pourrai me contenter de contribuer, donc de mieux contribuer.
Et maintenant que j'ai dit tout ce que j'avais à dire, il est temps de combler votre impatience. Je peux enfin amener à vos yeux écarquillés par l'attente deux indices capitaux qui vous permettront peut-être de lever le voile qui recouvre mon visage : le premier est que l'un de mes livres préférés est Le Crime de l'Orient-Express ; le second est que je suis également admiratif de la tactique d'Énée.
Et si malgré tout, vous ne trouvez pas, cela veut dire je ne serai à jamais connu que du bon Jésus, ce qui me permet de finir comme il se doit. C'est-à-dire en chanson :