Jules Renard en son inépuisable Journal : « La prose doir être un vers qui ne va pas à la ligne ».
Et cela de mordant, à propos d’un certain Fasquelle : «Il a un large nez au milieu du visage. C’est comme un coup de pied qu’on lui aurait donné, et dont il lui serait resté le pied ».
Et cela encore d’impératif : « Une phrase solide, comme construite avec des lettres d’enseigne en plomb découpé ».
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Il est certains livres auxquels on revient comme en certains lieux dits aujourd'hui « de mémoire » ou tenant lieux de greniers universels et autres débarras - de ce que les Madrilènes appellent le Rastro ou de ce que les Parisiens appellent les Puces, et telle est l'Autobiographie des objets de François Bon, à l'exclusion de toute nostalgie douceâtre puisque ce repérage personnel des choses évocatrices de dates et de faits balise un parcours personnel et familial, voire générationnel (pour parler le langage des temps qui courent), où se perçoit, dans le transit des objets et de la relation qui nous y a attachés et continue parfois de le faire, l'évolution de tout un bout desiècle, de nos aïeux à nos enfants, les têtes de chapitres de l'Autobographie des objets relançant à tout coup nos propres souvenances. Ainsi de Transistor ou de Dictionnaires, de Photos de classe ou deNavigateurs solitaires - qui tout aussitôt fait surgir Alain Bombard d'une déferlante-, ou encore de Pattes d'eph ou de Premier livre…
Ce qu'il y a de poétique chez François Bon l'est sans le vouloir. François Bon écrit par exemple ceci de la deux-chevaux: « Quatre roues sous un parapluie, c'était le projet de base de la deux-chevaux ». Ce qui commence bien. C'est du lyrisme sans forcer. Continuant comme ça: « Dans les années soixante elle s'en éloigne, plus pimpante, les odeurs à l'intérieur sont toujours aussi réjouissantes, mêlant plastique, métal et tissu ». Ensuite s'ajoutent de précises considérations techniques sur le véhicule par excellence de notre jeunesse, après le vélosolex, aboutissant au récit d'une équipée sans permis en ville que le père de l'auteur se retint de punir par une « terrible danse » puisque, garagiste et fils de, il était pour quelque chose dans les engouements mécaniques du bon fiston dont on constate à tous les coins de pages la passion respectueuse pour les objets de métier (sa première règle à calcul vaut son missel de première communion) ou de loisir (sa première guitare Yamaha).
Chacun (et dans chacun il y a chacune et chacuns) trouvera, dans la boîte à outils de François Bon, de quoi démonter et remonter quantité de souvenirs, comme l'évocation d'une petite poule mécanique ne manquera de rappeler tel oiseau articulé battant des ailes ou tel pantin de bois polychrome plus ancien.
François Bon cite aussi la revue en fascicules Tout l'Univers, qui nous a fait également voyager par l'imagination, comme les premières tournées de Connaissance dumonde. En Suisse romande, nous avons eu droit à la formidable série des Albums N.P.C.K., produits par le conglomérat chocolatier Nestlé-Peter-Cailler-Kohler, sur les pages desquelles nous collions des vignettes obtenues par l'achat de produits desdites firmes. Or les collections de ces albums, souvent liquidées par des mères impatientes de "faire de la place", valent aujourd'hui des sommes. Je garde précieusement mes exemplaires d'Oiseaux de tous payset de La ronde des métiers...
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AlbergoAlba, il 10 di agosto, a Locarno - Cattiva notte, dopo una serata alla terrazza della Contrada, in Piazza Grande, dove la cucina è sempre pessima. Dopo un giallo di qualità, La Condizione umana, ero rimasto sulla piazza dove ho visto mezz'ora di una merda americana intitolata Wrong Cops, nel gusto del neo-cinismo alla Tarantino. Avevo già visto Rubber, dello stesso Quentin Dupieux, sul modello del primo film del Spielberg, ma basta cosi.
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J'aurais envie désormais d'envisager les qualités qu'on pourrait dire d'un « romancier de cinéma » ou d'un "poète de cinéma", d'un "peintre de cinéma" ou d'un "musicien de cinéma"...
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J'observe que l'esthétique de téléfilm tend, de plus en plus, à tout niveler dans le cinéma des temps qui courent.
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La perversion du langage, aux yeux de Karl Kraus , est aussi bien le signe de la décadence sociale que de l'effondrement des structures internes de l'individu. Or cette dégénérescence est visible, plus qu'ailleurs, dans la presse. « Ce que la vérole a épargné sera dévasté par la presse », affirme-t-il comme le fit enRussie, quelques années plus tôt, un Vassily Rozanov. Et ce n'est pas qu'une boutade: pour Karl Kraus, en effet, défenseur du classicisme, traducteur d'Aristophane et de Shakespeare, admirateur de Goethe et de Nestroy, formidable écrivain lui-même, le langage de plus en plus dépersonnalisé de la presse, l'effet dissolvant de sa pensée au rabais, et la diffusion des idées générales qui en découle, sont autant de signes avant-coureurs de l'avènement d'un nouvel homme conditionné, prêt à suivre le premier démagogue.
Contre tout ce qui procède des idées reçues, contre les principes non ressaisis par la réflexion individuelle nourrie de sa propre expérience, Karl Kraus agit par le langage lui-même, de l'intérieur. Ses aphorismes ne sont pas tous convaincants, loin s'en faut. Mais tout se passe, à leur lecture, comme plus tard à celle des Remarques d'un Wittgenstein: où ce qui compte n'est point tant la vérité de la chose dite que le mouvement libérateur de l'esprit visant à la conquérir.
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Il y a quelque temps, l'ami Sergio me demandait si je pouvais lui faire lire le premier papier de critique littéraire que j'ai composé, en 1969, sur Les courtisanes de Michel Bernard. Le voici donc recopié :
Un rêve éveillé
Sur Les Courtisanes, de Michel Bernard. Premier papier de la firme JLK, paru dans La Tribune de Lausanne
"Me diras-tu enfin qui elles sont,ces deux p... ?"
Mystérieuses, les courtisanes de Carpaccio ne laissent pas d'intriguer les esprits curieux qui s'avisent de percer leur secret. Trônant, encloses dans les galeries d'un palais vénitien, entourées d'animaux et de chiens, leur regard se perd en un au-delà de la toile que seul le rêve est à même d'évoquer.
C'est en ce rêve, précisément, que Michel Bernard nous entraîne dans son dernier roman, tentant de réinventer dans une fiction l'oeuvre du peintre, donnant à celui-ci vie et parole.
Mais c'est de Venise qu'il faudrait parler d'abord, de cette ville étrange qui s'envase lentement. De cette Venise de marbre, où l'on admire dans les musées les mille merveilles de l'art tandis que l'eau ronge et ruine ses soubassements. Ville abstraite s'il en est, apparente encore par le génie des hommes, mais promise à sombrer, ville ambiguë, amarrée à la terre ferme et qu'on imagine en lente dérive, elle est le lieu où le temps, depuis toujours, est suspendu, lieu du rêve par sa nature même, le caché étant pour le moins aussi important que le visible, bâtie à l'image du corps, faisant les hommes à son image.
« Demain je peindrai les courtisanes. » Ainsi commence le roman. Le peintre est embusqué à sa fenêtre, prisonnier entre le rectangle vierge de sa toile et le spectacle de la ville, déjà fervent à son oeuvre, ivre de se jeter sur ses pâtes et ses pinceaux mais conscient de son ignorance de la ville qui l'attend pour une longue exploration.
Qui est-il ? Il l'ignore. Pas plus ilne connaît ces créatures qu'il captive de son regard et dont il devrai peu à peu s'approcher, les traquant jusqu'en leurs appartements secrets et participant à leurs orgies quotidiennes, puis revenant dans la solitude de sa chambre close, enfin prêt à se livrer tout entier à sa toile.
Tout le moment se déroule entre lemoment de la décision et celui de l'acte. Dans un cheminement lent et sinueux,suivant le rythme de la ville, le peintre prépare sa rencontre avec les courtisanes et finalement est amené à elles par cette étrange naine, fascinant petit monstre intelligent qui le guidera dans sa démarche et le suivra jusqu'au seuil de sa chambre. Les courtisanes, elles, ne sont que "bestiales qui rotent", comédiennes cyniques et dupes de leur propre jeu. Elles sont objet, et Carpaccio les traitera comme telles. S'il fraie, c'est qu'une exigence le force à "vérifier la fidélité des arches", entre la tricherie et la perversion.
Roman de l'approche de l'oeuvre, Les Courtisanes est avant tout réflexion sur la création. À ce titre, il mérite déjà toute notre attention.
Créer est une aventure. Perpétuellement menacé par ses fantasmes, par les trompe-l'oeil que la réalité élève tout autour de lui, le créateur a pour devoir impérieux de se reconnaître, de se perdre dans l'oeuvre à la recherche de son double, du "fastueux insondable reflet". Son ultime conquête, plus que l'oeuvre elle-même, est l'acte de créer, l'abandon de soi dans la toile, dans la page blanche.
Le livre de Michel Bernard est riche,dont les thèmes se nouent en un écheveau qu'il serait trop long de débrouiller ici. Mais il faut parler aussi de la merveilleuse prose de ce jeune auteur, sensuelle, chargée à l'extrême supportable et nous entraînant parfois en des détours si subtils, que l'agacement aurait raison de nous si l'ironie ne venait tout aussitôt distraire celui-là de la préciosité, et la gravité de la démarche nous consoler de trop belles moulures: « Verbe rugueux, âcre, pesant, gonflé d'odeurs, c'est celui que je peins, entre les cuisses des dames, sous leurs robes, entre lesyeux d'une vierge qui dort (...) Je les peindrai qui voient ce jour, voient cetinstant, à l'instant où le sexe devient muet ».
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Quelle fulgurance et quelle liberté, quelle poésie douce et dure à la fois, glaciale et brûlante que celle de Vallotton ! Vallotton est aussisuisse et fou qu’un Hodler, en plus ornemental parfois (même s’il y a aussi de l’ornement de circonstance chez Hodler) mais aussi débridé dans ses visions, et notamment dans ses crépuscules incendiaires et ses à-plats véhéments. Comme Hodler, en outre, Vallotton finit aux franges de l’abstraction lyrique à l'américaine, jeunes sauvages avant la lettre…
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À La Désirade, ce samedi 19 octobre. - J'ai trouvé, dans la lecture des nouvelles d'Alice Munro, découverte à la faveur de son récent Nobel de littérature,un écho à ma propre rêverie existentielle que je n'avais jamais perçu jusque-là chez aucun auteur, sauf chez Tchékhov. Tous les sujets de ces nouvelles me touchent par leur substance et leur traitement, si délicat et si juste. Aussi, les nouvelles d'Alice Munro jouent sur le dévoilement progressif d'un secret, dont le lecteur tient la clef en lui.
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L'idée m'est venue ce soir d'illustrer la couverture de L'échappée libre en reproduisant la magnifique toile de Robert Indermaur évoquant un homme volant, intitulée Hoher Himmel. Il me semble qu'on ne saurait trouver de meilleure illustration à l'envolée que je suggère au-dessus des formats...
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À La Désirade, ce vendredi 25 novembre. - Chaque nouvelle nouvelle d'Alice Munro m'apprend quelque chose et me souffle une idée de nouvelle nouvelle à écrire.
Ce matin, par exemple, en lisant Les Lunes de Jupiter, dernière nouvelle du recueil éponyme, il s'agit d'une femme écrivain qui accompagne son père cardiaque à l'hôpital, lequel décide de ne passe faire opérer et d'affronter la mort. Or cela me rappelle à la fois la fin dupère de Lucienne et les derniers temps de notre père, comme les observations de la narratrice à propos de ses deux filles me ramènent, évidemment, aux nôtres. Mais ce qui m'intéresse surtout, là-dedans, est que tout le vécu de l'écrivain est ressaisi par la fiction, comme je voudrais que le mien le fût tout pareillement. Enfin le grand thème d’Alice Munro pourrait se résumer dans cette formule : ce que la vie a fait de nous…
Annie Dillard : « Pourquoi lisons-nous, sinon dans l’espoir d’une beauté mise à nu, d’une vie plus dense et d’un coup de sonde dans son mystère le plus profond ».