Leopardi :« La barbarie ne tient pas principalement dans le manque de raison, mais dans le manque de nature ».
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Mémoire vive
Au miroir de mémoire
le soleil des instants
rallume le papier d'Arménie:
douce douleur de combustion
soudain fulgurante.
Ensuite,
lueurs du revenir
de loin en loin.
Dans la nuit d'oubli,
les failles,
ces mains agitées,
ces voix éparses dans le vent d'oubli.
Revenir alors
va de l'avant.
Mémoire vive.
Prodigue passé,
présence à venir.
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Ne plus accorder la moindre attention aux foutriquets médiatiques. Pas une pinute à merdre. Il s’agit cependant de lutter contre le vide et la stupidité, plus encore : contre les hyènes des médias, les fumistes et les cyniques.
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Jules Renard : « Tâchons de voir un peu clair en Dieu ».
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Du blanc
Cézanne
laissera
de plus en plus de blanc
entre les touches de couleur.
C’est
comme de l’air
entre les pierres
et le ciel.
Ou même : entre les gris
et les bleus et les jaunes
et les verts des pierres.
Silence
entre les mots.
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À La terrasse de la FEVI, ce lundi 11 août. - Pas convaincu, du tout, par le nouveau film d’Andrea Staka, Cure – The Life of Another, dont la « quête d’identité » de la protagoniste, plus encore que peu crédible, me semble traduire une démarche psychologique bancale, sans rapport avec la réalité de la guerre en ex-Yougoslavie. C’est l’histoire du meurtre d’une jeune Croate, qui a passé les années de guerre à Dubrovnik, par son amie revenue de Suisse, qui la pousse du haut d’une falaise avant d’endosser plus ou moins son identité – ce « plus ou moins » se rapportant à l’improbable réalité de la chose, relevant du fantasme et de la fabrication tout intellectuelle.
Après Das Fraülein, qui évoquait une réalité sans doute ressentie et vécue par la réalisatrice, celle-ci me semble s’être égarée dans une narration par trop artificielle, dont la forme léchée n’arrange rien s’agissant de ces années de guerre. Ce qui est sûr, à ce propos, c’est que je n’ai rien retrouvé du climat ni de tout de ce que j’ai observé en 1993 à Dubrovnik. Surtout, je me suis ennuyé, et ma bonne amie s’est montrée à peine plus indulgente que moi…
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All’Alba, ce mercredi 13 août. – Pluie diluvienne ce matin. Me réjouis de me retrouver à La Désirade et d’y reprendre la peinture,la préparation de mes nouvelles, mes lectures de l’éléphant et autres travaux vitaux.
Sans nous concerter, ma bonne amie et moi avons décidé que cette édition de Locarno, notre dixième ensemble, serait probablement notre dernière. Le festival devient une grande bastringue où le nombre prend le dessus, comme un peu tout dans cette société de consommation à outrance. Du moins avons-nous apprécié, ce matin, la projection de Bound for Glory, très belle évocation biographique du chanteur de folk Woodie Guthrie, par Hal Ashby, et ce soir une charmante comédie de Comencini
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Certains textes sont, ou paraissent, insondables, liés par exemple à telle ou telle tradition spirituelle ou mystique. Plus ou moins obscurs au premier regard, codés, chiffrés, supposant une initiation, ils sont censés contenir un secret, et peut-être le secret des secrets, quittait ? Or, comment trouver la clef du langage secret ? À quoi rime le secret entretenu par certaines langues ? Et que faire de ce secret :le respecter ou le violer, le préserver ou l’éventer ?
Telles sont les questions qui se posent, incidemment ou plus explicitement, à la lecture du dernier récit traduit de l’écrivain-poète italien Erri de Luca, Le tort du soldat, dont le noyau secret a, sous la langue, la douceur et la saveur de fruit de la pulpe del’oursin, entouré comme on sait de redoutables piquants.
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À mon goût, c’est le plus beau film de Richard Dindo, d’une grande valeur poétique et philosophique à la fois. Bien plus qu’une illustration du roman, c’est une transposition libre, à la fois elliptique et très concentrée, touchant au cœur de l’œuvre et modulant admirablement trois portraits de femmes. À ce seul égard, et s’agissant d’une succession de plans fixes intégrés dans le flux de la narration, le travail avec les actrices est impressionnant de sensibilité et de justesse. Marthe Keller, dans le rôle d’Hanna, irradie l’intelligence sensible à chaque plan, dans tous les registres de l’extrême douceur et de la véhémence blessée, de la mélancolie ou de la lucidité. Avec la jeune comédienne Daphné Baiwir, incarnant la jeune Sabeth, Dindo a trouvé une interprète infiniment vibrante de présence elle aussi. Sans autre dialogue que le récit modulé par le comédien Arnaud Bedouet, Dindo parvient à exprimer en images l'essentiel du roman, dans lequel le personnage d' Ivy (Amanda Roark) est également parfait. Bref, tant ces trois présences féminines que le découpage narratif des plans, le remarquable choix musical et le montage relèvent d’une poésie inspirée de part en part, jusqu'à la sublime déploration finale rappelant la mort de Didon de Purcell. Enfin avec la variation de perception philosophique marquée du début à la fin par le protagoniste, de son positivisme initial d’homme ne croyant qu'à ce qu’il voit, à une vision plus profonde des êtres et du Temps, Richard Dindo a restitué ce qu’on pourrait dire le sentiment du monde de Frisch, tel par exemple qu’on le retrouve dans L’Homme apparaît au Quaternaire, l’un de ses plus beaux livres.
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Oscar Wilde: « S’aimer soi-même, c’est se lancer dans une belle histoire d’amour qui durera toute le vie. »
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L'Ami barbare en légende et en vérité.
D’un souffle épique et d’un humour rares, le nouveau roman de Jean-Michel Olivier évoque, dans un flamboyant mentir-vrai, la figure de Vladimir Dimitrijevic, grand éditeur serbe mort tragiquement en juin 2011.
La légende est une trace de mémoire, orale ouécrite, qui a toujours permis à l’homme d’exorciser la mort et de célébrer sesdieux, ses saints ou ses héros.
Vladimir Dimitrjevic (1934-2011), Dimitri sous son surnom de légende vivante, ne fut ni un saint ni un héros ! Pourtant la vie du fondateur des éditions L’Âge d’Homme relève du roman picaresque à la Cendrars que Jean-Michel Olivier, son ami, en a tiré avec une verve sans pareille. Des ingrédients que lui a servis la vie, il a fait un plat de fiction pimenté à souhait. Dimitri, qui ne tirait jamais le couteau ni ne fréquentait les bordels à notre connaissance, se serait régalé en se retrouvant dans la peau d’un fou de foot et de livres qui délivre un âne aux pattes prises dans la glace, casse la figure de ceux qui le rabaissent et fustige ceux qui « freinent à la montée » en terre littéraire plombée par le calvinisme. Dans la foulée, aux foutriquets médiatiques qui prétendent que rien ne se passe dans nos lettres depuis la disparition de Chessex, l’auteur de L’Amour nègre prouve le contraire en célébrant tout ce qui vit et vibre, par le livre, ici autant que partout !
Brassant la vie à pleines pages, fourmillant de détails tragi-comiques, L’Ami barbare déploie un récit à plusieurs voix autour d’un cercueil ouvert. En celui-ci repose Roman Dragomir, alias « le dragon », mort dans un terrible accident de la route mais parlant comme il a vécu, tour à tour chaleureux et véhément. Tendre au vu de sa fille gothique ou de ses fils de diverses mères. Vache envers telle dame patronnesse de la paroisse littéraire romande ou tel vieil ennemi juré au prénom de Bertil. Avec son soliloque alternent les dépositions de sept témoins majeurs, qui évoqueront les grandes étapes de sa vie passionnée.
Voici donc Milan Dragomir, frère cadet (fictif) du défunt, brossant le tableau hyper-vivant d’une enfance en Macédoine puis à Belgrade, marqué par la passion du football et des livres, mais aussi par laguerre, le père emprisonné (d’abord par les nazis, ensuite par les communistes) et l’exil que son frère continue de lui reprocher comme une trahison. Dimitri était fils unique, mais l’invention des frères Dragomir est une belle idée romanesque, autant que la figure récurrente d’un âne à valeur de symbole balkanique et biblique à la fois.
La suite des récits alternés entremêle faits avérés et pures affabulations. Une libraire juive de Trieste, Johanna Holzmann,évoque le premier séjour de Roman à Trieste, en 1954, sous le signe d’une passion partagée. C’est un personnage rappelant d’autres romans de Jean-Michel Olivier, mais l’exilé en imper à la Simenon a bel et bien passé par le Jardin des muets. De même Dimitri fut-il, en vérité, footballeur à Granges, comme le raconte l’ouvrier d’horlogerie et gardien de but Georges Halter, surnommé Jo. Les Lausannois se rappellent le libraire yougoslave mythique de chez Payot, au début des années 60, et Christophe Morel, en lequel on identifie le fidèle Claude Frochaux, est le mieux placé pour ressusciter ce haut-lieu de la bohème lausannoise que fut le bar à café Le Barbare aux escaliers du Marché. Quant à la fondation des éditions La Maison, dont Roman Dragomir fera le fer de lance des littérature slaves plus ou moins en dissidence, elle est narrée au galop verbal par le même Morel, compagnon de route athée et libertaire aussi fidèle à Roman qu’opposé à ses idées de croyant « réac » lançant du« vive le roi ! » sur les barricades de Mai 68…
Avec Roman Dragomir, l’âme slave rayonnera deLausanne à Paris et Moscou, et c’est une dame russe voilée qui poursuit, devant le cercueil, le récit des tribulations de l'exilé bientôt confronté à l’implosion de son pays. Révolté par la propagande occidentale diabolisant sa patrie, Roman Dragomir défendra celle-ci avant de découvrir, sur le terrain, l’horreur de la réalité. Sur quoi l’écrivain Pierre Michel, double transparent de l’auteur, décrit l’opprobre subi par son ami en butte à la curée des « justes ».
Un magnifique épisode, évoqué par la dame russe, retrace la visite d’une inénarrable cathédrale de livres, dans une usinedésaffectée, en France voisine où l’éditeur génial a stocké des milliers delivres. Mausolée symbolique, ce lieu dégage une sorte d’aura légendaire. Or ce dépôt pharaonique existe bel et bien ! Et c’est de la même aura que Jean-MichelOlivier nimbe le personnage du « dragon » Roman, que les amis de Dimitri se rappellent aussi bien.
À un moment donné, Christophe Morel avoue n’avoir parlé que des qualités de Roman Dragomir, alors qu’il faudrait plusieurs livres, selon lui, pour détailler ses défauts. Pour autant, L’Ami barbare n’a rien d’une apologie myope : c’est un roman de passion et d’amitié, une stèle à la mémoire d’un grand passeur dont les derniers mots ont valeur d’envoi : « La vie seule continue dans les livres. Priez pour le pauvre Roman ! »
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Jules Renard en son Journal : « J’ai plus d’une fois essayé d’être triste un jour entier. Je n’ai pas pu. Pas même ça ! »
La dimension de l’humour comptera pour beaucoup dans La vie des gens, mon recueil de nouvelles en train de tourner au roman. L’humour comme mise à distance par rapport à la lourdeur, la stupidité, la vanité, le simulacre et le faux en général. Il ne s’agit pas tant de se moquer que de déjouer les faux semblants, l’hypocrisie, la prétention creuse et toutes les formes d’idiotie.
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À son réveil, Jonas, protagoniste de La vie des gens, se rend compte, tout à coup, qu’un jour il ne sera plus là. Plus de Jonas. Vertige, scandale absolu, et cela nous arrivera à tous nom de Dieu…
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Peter Sloterdijk : « Grand-mère et petits-enfants : pas la plus profonde, mais la plus belle, la plus humaine des relations sur terre ».