Plié et jauni par le temps, il fut retrouvé dans le missel romain d'une mère éprouvée par la perte successive de deux fils, ce poème de Sully Prudhomme.
Paysanne habitée par la foi de ses aïeux, l'éprouvée saisissait de ses mains abimées, ce papier plié et jauni, et s'en nourrissait comme d'un psaume. Sa lecture, jusqu'à ce qu'elle le sut par coeur, se fit les soirs d'automne et d'hiver, au coin de la seule source de chaleur en une cuisinière. Le besoin s'en faisait plus sentir le dimanche, après sa visite au cimetière, pendant le court répit du repos dominical offert à la ferme, avant la traite du soir.
Nous l'offrons à ceux qui en cette journée des défunts, aurons peut être le même réconfort à le lire.
"Bleus ou noirs, tous aimés, tous beaux,
Des yeux sans nombre ont vu l'aurore;
Ils dorment au fond des tombeaux
Et le soleil se lève encore.
Les nuits, plus douces que les jours,
Ont enchanté des yeux sans nombre
Les étoiles brillent toujours,
Et les yeux se sont remplis d'ombre,
Oh! Qu'ils aient perdu le regard,
Non, Non, ce n'est pas possible !
Ils se sont tournés quelque part
Vers ce qu'on nomme l'invisible !
Et comme les astres penchants
Nous quittent, mais au ciel demeurent
les prunelles ont des couchants,
Mais il n'est pas vrai qu'elles meurent:
Bleus ou noirs, tous aimés, tous beaux,
Ouverts à quelque immense aurore,
de l'autre côté des tombeaux
Les yeux qu'on ferme voient encore."