Magazine Journal intime

3 novembre 1914

Publié le 30 octobre 2014 par Christinedb

Devant Ypres (à 3 km) en feu

Ma bonne Cécile,

Quelle singulière vie. Hier soir, au moment où je t'ai écrit, j'attendais nos voitures qui devaient nous amener les vivres. Naturellement, il ne faut plus compter sur rien ici . Or rien ne vint et cependant j'avais onze personnes à nourrir, le colonel de Lobit, s'était prudemment recommandé à moi. Comment ai-je trouvé de quoi faire un potage, une omelette, des nouilles et du porc frais, c'est une histoire. Malheureusement je n'avais de soupe que pour 6 ou 7, si bien que les derniers n'en eurent pas . Il en fut de même pour l'omelette et les nouilles étaient immangeables à cause d'une graisse rance qui fut employée, tout le monde faisait une tête épouvantable. J'étais bien ennuyé, mais j'étais distrait par la figure du chef de musique car c'était toujours à lui qu'arrivaient les plats vides. (mon stylo est vide, je le remplirai quant les voitures viendront ) je suivais le manège depuis un moment et je sentais le rire arriver quand il (le chef de musique) me fit une observation dans laquelle perçait son dépit. Alors un rire qui me prit que je ne pus retenir, les deux colonels qui la veille m'avaient dit que je les faisais trop manger et qui ne se doutaient pas de la nécessité dans laquelle ni se trouveraient de se serrer le ventre aussitôt, les deux colonel dis-je lançaient plutôt le mauvais œil ; quand je fus un peu calmé, je pus leur expliquer la mimique du chef de musique, et devant la figure de celui-ci ils se décidèrent  et rirent à leur tour, surtout quand je  pus leur raconter l'histoire de 1770 ceintures de Béziés avec 365 trous.

Et pendant ce temps  de Briellen petit village que nous occupons et où on se croirait en Albanie, Ypres brûle allumé par des obus spéciaux. C'est incroyable la foule qui est ici,  anglais, écossais avec leurs petites robes qui fait voir combien ils en ont , africains, etc.... Tous les moindres abris, tous les villages sont occupés, 600 pièces de  canon de marine et armés, crachent à chaque instant c'est épouvantablement beau ! Avec cela l'esprit continue à être magnifique, on ne croirait jamais que nous sommes à la veille de faire une grande chose. Car ces apprêts ne peuvent le dissimuler, c'est le grand coup de tampon, j'espère, qui va être donné. Déjà, je le crois, la débandade commence, car il n'est pas répondu à notre formidable artillerie. Il y a ici auprès de moi car nous avons quitté provisoirement Briellen je pense que c'est pour que nous ne recevions par les carreaux des fenêtres par la figure, pendant que nos énormes pièces de la marine éclatent , il y a auprès de moi, dis-je, des canons, dont le coup de départ est aussi terrifiant que l'explosion elle-même. Quel tableau ! À côté de sont nos hommes dans des tranchées qu'ils viennent de se faire hâtivement, et ils s'amusent comme des gosses à popoter, faire le café... Etc.

Moi-même je t'écris sur une table sur laquelle, dans ma maison abandonnée, je viens de faire servir à déjeuner. À ce déjeuner, ce fut encore à problème. Mais je réussit néanmoins à trouver du singe ce qui n'était pas difficile, mais une vinaigrette. De plus ayant été intrigué le matin par le cri d'un cochon, je suis allé voir d'où venait ce cri et j'ai trouvé un bonhomme qui me promit pour une heure au plus tard deux kilos de petites saucisses avec le jus, nous eûmes des pommes de terre délicieuses, enfin des artilleurs qu'on envoyait  ailleurs et qui n'avait pas de place pour emporter toutes leurs viandes, nous laissèrent un gros bout de bœuf et du pain. C'était complet et je n'avais que des figures réjouies bien à l'unisson de celles de tous nos troupiers qui en ce moment chantent Faust avec les anglais !

Quelle vie extraordinaire, je mène en ce moment ! ! Je crois que nous allons rentrer à Briellen, je n'en serais pas fâché, car j'ai encore la certitude d'y  retrouver mon petit lit d'hier.

Je viens de relire ma chérie tes 2 lettres du 26 et 27. J'avais à peine eu le temps de te dire j'ai vu Chasselin, malheureusement je ne pourrai pas le prendre à la popote, car notre cuisinier qui est partit avec le colonel de Lobit est remplacé par le serveur cuisinier de profession qui fait bien l'affaire. J'ai vu Chasselin au bout du fossé en marche, je n'ai pas pu lui dire grand-chose, car il était arrêté, ne pouvait plus marcher à cause de sa blessure mais je l'ai recommandé ce matin à tous les médecins. Je suis content de ce que tu m'apprends au sujet de Robert et te félicite de ton initiative ordinaire pour mener son affaire à bien. J'ai fait la commission au colonel général de Lobit , il te remercie et te fait ses compliments.

Tu diras à Dezwart qu'il bafouille, qu'il vienne voir si les prussiens sont à Dunkerque. Il est vrai qu'il ne savait pas que nous arrivions.

Merci aussi des détails sur Ravel, le brave garçon ! !

Dit à Loulou de continuer à bien manger, et qu'il fasse de l'exercice. Si tu voyais les anglais, les jeunes surtout, quel beaux types ! Et avec cela ils ont une tenue superbe, pantalon presque collant serré au genou et jambière très bien ajusté, le veston serré à la taille et casquette plate.

Hier ils jouaient au football avec des soldats du 37e, car ils ont trouvé un ballon dégonflé.  Ils se rasent tous les jours. Ils gagnent des sommes folles, et sont blanchis, quant leur linge ou leurs effets sont sales on leur en donne du propre. Mais alors que l'orgie, d'autos, de camions électriques... Etc.... Ils en sont embêtants.

Mais j’arrête ma chérie, heureux d'avoir pu te consacrer ce petit moment, heureux surtout du plaisir que cela te procure. Rassure les poltrons dis leur bien que tout va bien, surtout au 37e ou tout le monde est brave. C'est tellement vrai, qu'on ne sait qui récompenser. Je t'embrasse bien fort.

J.Druesne

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3 novembre 1914 (JMO du 37e RI)

Le régiment se porte sur Thièvres sur Sombrun ? à 5 heures du soir.

Cartographie du 3 novembre 1914


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