Merci la vie

Publié le 09 novembre 2014 par Jlk

Du hasard, des rencontres, des traditions qui foutent le camp ou pas et de ce que nous faisons de tout ça.

 

Discours du père aux deux jeunes mariés, devant 88 parents et amis, le 8 novembre 2014.

 

-  Si vous m’aviez dit, le 1er janvier 1982, que le 31 décembre de la même année je serais non seulement marié mais père d’une petite fille prénommée Sophie, je vous aurais ri au nez…

-  Si j’avais été, cette année-là, mercenaire de La Voix ouvrière plutôt que de La Gazette de Lausanne,  Lucienne et moi ne nous serions probablement pas retrouvés, ce soir de janvier, au pied des Escaliers du Marché où nous étions venus assister au même spectacle du Café littéraire Le  Guet.

           

-  Si notre ami Bernard Courvoisier, qui accompagnait Lucienne ce soir-là, s’était impatienté pendant que nous nous parlions à l’écart, deux ou trois quarts d’heure durant, avec l’impression partagée qu’il allait se passer quelque chose entre nous de nouveau, dix-huit ans après le début d’un autre quelque chose pour lequel nous n’étions pas prêts, Bernard ne serait pas devenu le parrain de Sophie. 

-  Si, le 23 novembre 1982, le docteur Csank, à la maternité de Morges, n’avait pas pu s’exclamer « Encore une nana ! », comme il les avait alignées cette nuit-là, mais « cette fois c’est un mec ! », alors Florent  n’aurait pu devenir aujourd’hui le mari de Sophie

-  Bref, comme on dit qu’avec des si l’on pourrait mettre Paris dans une bouteille, ce petit jeu des suppositions, qui implique le hasard et la chance, peut-être le mystère, ou peut-être le miracle des rencontres, ne me vient à l’esprit que pour dire la reconnaissance que j’éprouve à l’instant et que j’aimerais partager.

-  Ce mariage pourrait n’être qu’une formalité, un rite social, une façon de faire comme tout le monde même si, de nos jours,ce rite se perd autant dans son contenu que dans ses formes.

-  Lorsque Sophie et Florent nous ont dit qu’ils avaient une nouvelle à nous annoncer, nous aurions pu penser : naissance, mais c’était mariage, et nous nous sommes réjouis. Pourquoi cela ? Parce que ces deux concubins, comme on le disait naguère avec une pointe de réprobation («ah vous savez, ils vivent à la colle… ») rentraient dans le rang ? Pas du tout. D’ailleurs jamais nous n’avons exercé la moindre pression sur eux dans ce sens-là.

-  Alors pourquoi se réjouir ? Peut-être à cause de vous, amis, qui n’y  pouvez rien. À cause de nos parents, qui ne peuvent plus se réjouir. À cause de Michel, père deFlorent, qui est parti trop tôt et que nous n’avons jamais rencontré, sauf Sophie. À cause de toutes ces rencontres à la fois hasardeuses et miraculeuses qui ont tissé ces liens et permis ce moment que nous passons ensemble

-  On entend dire parfois que tout fout le camp et que plus rien de bien ne se  fait aujourd’hui, mais je ne trouve pas ces litanies intéressantes. D’ailleurs on le dit depuis trente siècles et c’est vrai que ça ne s’arrange pas ; et ce n’est pas ce qu’on appelle un beau mariage avec location de calèche et passage à l’église, ou à la synagogue ou à la mosquée ou à la pagode qui va forcément sauver la mise.

-  Lucienne et moi nous nous fichons complètement du fait que ce mariage ne soit pas consacré par le pasteur du coin, ou le curé ou le rabbin ou l’imam ou le bonze tondu, comme certains trouveraient plus convenable de le faire, et pourtant cette décision de Sophie et Florent de se marier nous a fait, sinon  un plaisir sacré, du moins un sacré plaisir. S’ils avaient choisi de le faire dans une cathédrale, nous aurions trouvé ça  très bien, comme s’ils avaient choisi une chapelle dans les bois ou une yourte sur les hauts gazons. Peu importe n’est-ce pas ?

-  L’important alors ? C’est que la présencede ces deux-là est déjà une espèce de chapelle ou de yourte chauffée. Ils dégagent de l’amour, et quand j’ai demandé à Stéphane de me parler de son petit frère, j’ai senti de l’amitié. Comme Florent est plutôt du genre taiseux, j’en ai appris pas mal sur lui en faisant parler Jacqueline sa mère ; et tous deux, sa mère et son frère, m’ont dit quelque chose comme : on peut compter sur lui.  Bon socle. Bon type. Tête dure sous le bon front. Gendre idéal. Parfait pour Sophie, qui est elle-même la perle qu’on sait.

-  D’ailleurs notre confiance était déjà acquise, sans beaucoup de paroles. Je pense que c’est avec de gens comme Sophie etFlorent qu’on va faire le monde un peu meilleur, et pas en mettant Paris dans une bouteille.  Nos enfants sont curieux et généreux, mais ça vient de loin je crois : ce n’est pas qu’une question d’âge. Nous sommes aussi généreux et curieux, et nos parents l’étaient aussi. Donc ça fait là, déjà. une bonne base. Une espèce de chapelle sans esprit de clocher, ou une sorte de lieu protégé, voire une cathédrale dans la forêt ou au bord de la mer.

-  Bref, ce qui nous réjouit finalement le plus,dans ce mariage, tient peut-être simplement à ce qu’il a de juste pour ces deux-là. Et c’est un exemple à suivre au sens le plus large : marions-nous donc un peu plus, engageons-nous un peu plus tous les jours, collaborons un peu mieux entre générations,  villes et villages, gens de toutes couleurs. Même pas besoin de parler de mariage pour tous puisque ça va de soi. Si la liseuse fait bon ménage avec la machine-outils, hardi, et tant mieux si ça fait des petits !

-  Tel étant le sermon du paternel et beau-dabe et ça ira pour aujourd’hui !

         Donc Merci Florent. Merci Sophie. Merci les amis. Merci la vie