Magazine Journal intime

Le bisou

Publié le 09 novembre 2014 par Stella

P1010276 (c) Momo-fait-de-la-photo

Il m’est arrivé l’autre soir une fort plaisante histoire. C’était aux alentours de 19 heures, j’arrivais, fatiguée, dans le métro lorsque j’avisais une femme qui se glissait doucement entre les « usagers », relativement peu nombreux, patientant sur le quai. Elle mendiait, et ne semblait pas avoir grand succès : les gens secouaient la tête en signe de refus, ou plongeaient leur regard vers leurs bienveillantes chaussures… Elle devait avoir un peu moins de la quarantaine, cheveux mi-longs, plats et raides, le visage rond, pâle et un peu gonflé. Son regard fatigué et ses yeux rougis témoignaient de sa misère, l’alcool et les nuits de mauvais sommeil, la difficulté de vivre. Ou de survivre. Une quémandeuse, simple, comme nous en croisons tous les jours sans y faire attention.

Lorsque je me suis assise pour attendre moi aussi la prochaine rame de métro, je m’étonnai de ne plus la voir. J’étais sûre, pourtant, qu’elle devait parcourir le quai dans un sens et dans l’autre pour essayer de récolter un peu d’argent, si bien que lorsqu’elle est apparue devant moi, j’en ai été presque étonnée. Je ne l’avais pas vu revenir, elle a semblé se matérialiser d’un seul coup. « Bonsoir Madame, me dit-elle, auriez-vous s’il vous plait un ticket-restaurant ? » Absurdement stupéfaite, au sens premier du terme, je lui fis un « oui » des lèvres, sans qu’aucun son ne sorte de ma bouche. « Oh merci madame… me répondit-elle immédiatement. Vous savez, je ne demande pas d’argent, juste un ticket-restaurant et… et… et… en auriez-vous un deuxième, s’il vous plait… », risqua-t-elle, presque sans me regarder. Tout en fouillant dans mon sac pour attraper mon portefeuille, je lui fis un second « oui » et, à nouveau, aucun son ne franchit mes lèvres. Je détachai les deux chèques-déjeuner de mon carnet et les lui tendis. « Oh merci Madame, merci infiniment… Vous ne pouvez pas savoir… Merci ! » Je la regardais avec un sourire, j’étais brusquement contente de lui faire plaisir. Je savais bien pourquoi elle en voulait deux : ils servent à payer les hébergements – je n’ose pas dire les hôtels – qui accueillent les sans-domicile-fixe. Et au moment où je m’apprêtais à remettre mon portefeuille dans mon sac, elle se pencha vers moi et me colla un gros bisou sonore sur la joue gauche. « Merci, merci madame ! » me dit-elle à nouveau.

Le métro entrait dans la station. Avec un grand sourire, je me levai et, enfin, la saluai avec de vraies paroles : « Je vous en prie Madame, je vous en prie. Merci à vous. Au revoir, Madame… » Oui, merci à vous, Madame, grâce à vous ma soirée était éclairée. Ce bisou résonnait – et il résonne toujours – à mon oreille bien mieux qu’un remerciement. Il valait pour tous les tickets-restaurant que je donne, car j’avoue en être assez généreuse. C’est d’ailleurs comme ça que j’ai appris qu’ils servaient aussi à payer les hôtels.

Remerciements donc, et justice restaurative, si je peux m’exprimer ainsi, pour un acte très laid que j’avais eu à subir quelques temps auparavant. Ce jour-là, un dimanche, j’avais grignoté à la terrasse d’une brasserie  avec un mien compatriote, un homme qui, au bas mot, gagne trois fois mon salaire, lorsqu’au moment de payer l’addition, je sortis mes inévitables chèques-déjeuner. Ce geste est, pour moi et en cette occurrence, la manifestation courtoise du fait que je ne considère jamais comme un dû le fait d’être invitée. Je fus légèrement étonnée que mon hôte me laisse aller jusqu’au bout de mon intention mais bon… Là où l’histoire se corse, c’est qu’au motif que nous étions dimanche, le serveur refusa ma monnaie de papier. Pour ne pas avoir l’air de manquer de savoir-vivre, mon amphitryon paya - mais de toute évidence c’était à contrecœur - avec sa carte bancaire. Une fois l’opération terminée, alors que je m’apprêtai à ranger mes tickets dans mon portefeuille, il s’en empara brusquement et me dit « Je les prends, j’en aurai bien l’utilité… ». Je suis restée sans voix, sans réaction, profondément choquée. Non pas d’avoir à payer ma part, mais de le faire de cette façon. C’était l’antithèse absolue de la générosité. S’il m’avait dit « invite-moi », je l’aurais fait avec grand plaisir. Cela n’aurait d’ailleurs pas été la première fois. Mais là… C’était misérable. J’en perdis la sourire pour le reste de l’après-midi. Alors oui, merci Madame, de m’avoir permis de vous donner ce que vous me demandiez. J’en suis heureuse.


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