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14 novembre 2012 | Jean-Luc Steinmetz, L’Autre Saison

Publié le 14 novembre 2014 par Angèle Paoli
Éphéméride culturelle à rebours

L’AUTRE SAISON, D’APRÈS UNE SAISON EN ENFER D’ARTHUR RIMBAUD
(extrait)

14 novembre

Rimbaud s’est éprouvé enclin à la tentation. Un de ses poèmes s’intitule « Le Mal », mais il n’y parle que de la guerre franco-prussienne de 1870. La guerre est une occurrence du mal partout dispersé sur le monde et concentré à des heures sur de certains points où brûlent ses bubons. Il en fut pour lui cependant d’une tentation tout autre, que l’on ne perçoit pas toujours. À celle-là, je l’assujettis corps et âme. Il est possible que je me trompe. Je le vois assez tôt se haussant jusqu’aux ambitions de Prométhée, « voleur de feu », comme il le dira lui-même, séduit, puis persuadé à l’idée qu’à ce monde pourrait être substitué un autre et qu’il avait, pour ce faire, tous les pouvoirs. Les « Délires » de la Saison l’affirment assez fort, non sans en scruter les apories, les courbes, les embûches, les défilés. Réinventer l’amour, créer un nouveau langage. Programme de dépassement intégral et — comme auraient dit les Grecs — expression de l’ubris portée à son plus dangereux degré d’incandescence.
Quelles injonctions, quelle malignité engagent certains êtres à s’élever à ces hauteurs qui longent des précipices ! D’ici même, d’ici-bas, on pressent le vertige éprouvé. Et qui rendre de tout cela responsable, outre soi, sinon Satan, lequel erre par des traverses inconnues et nous saisit là où nous ne l’attendions pas ? De l’orgueil et de la volonté de puissance qu’il avait Rimbaud aurait pu se contenter, fier de l’expérience tentée. La Saison le voit revenir sur son outrecuidance, victime, qui plus est, de maléfices, damné en ce monde avant l’autre, supplicié au gril de son impertinence. Attribuer en dernière analyse ses désirs fous à l’Aversier relevait de la démarche la plus logique et concédait à la légende. Et qui mieux que Rimbaud s’éprouva légendaire ? « N’eus-je pas une fois une enfance à écrire sur des feuilles d’or. » Quelle illusion rétrospective ! Et comme l’on sait bien, depuis, à moins de retrouver en elle le mythe de toutes les enfances, que la sienne fut moins heureuse que les autres, davantage vouée aux médiocrités de la basse existence, aux pauvretés communes. Il faut croire qu’en marge se développa son génie, embarrassant et frémissant engendrement auquel, bien entendu, il pensa, par la suite, que Satan avait procédé. De là, avec un peu de retard, son adresse au Père nourricier, à l’Alchimiste de service, comme à qui de droit et sans véritablement secouer le joug, avec — au contraire — le souci de s’enfoncer dans des abîmes et, franchissant l’Achéron, d’entrer tout vivant dans la ville de Dité environnée de brumes et couronnée de feux délétères.

Jean-Luc Steinmetz, L’Autre Saison, d’après Une saison en enfer d’Arthur Rimbaud, Éditions Nouvelles Cécile Defaut, Collection « le livre la vie » dirigée par Isabelle Grell, Nantes, 2013, pp. 35-36.


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