16 novembre 1914
Ma bonne Cécile,
La neige d'hier s'est transformée en une forte pluie et je t'assure que cette situation n'est guère tolérable pour les malheureux obligés de rester dehors nuit et jour. Je m'en veux de rester au village, le dos au feu, quand tant d'autres peinent à un kilomètre de moi. Et cependant, à part les intempéries, le danger a été le même ici, le bombardement a été plus violent encore que les jours précédents. Des obus tombent en masse sur les maisons et il n'y a guère que les imprudents qui écopent. Il faut en effet, tenir compte de la direction du tir de l'ennemi, dans une maison, par exemple se tenir toujours dans les pièces situées du côté opposé. De même, dans une rue il faut donner la préférence aux maisons situées du côté opposé.
La journée a été très bonne hier au point de vue succès, des zouaves sont venus nous seconder et ont fait de bonne besogne. L'Yser se dégage de plus en plus de notre côté mais... Je n'ai toujours pas de lettre de toi et cette situation dure depuis que je suis en Belgique.
Je t'envoie ma chérie, quelques lettres qui ont été trouvées sur Raymond qui ont été remises par lui à son voisin, mais ce dernier blessé lui-même, a été évacué pendant la nuit et je n'ai pu le voir. Je n'ai pas non plus de nouvelles du corps et n'ai pu me livrer à aucune recherche, car, en première ligne tout ce qui dépasse la tranchée est touché. Mais ne donne de ces détails que ce que tu jugeras utiles à la famille Guery.
Tu devines la peine que cette mort me cause, ce gosse que nous avons connu tout petit et auquel j'étais heureux d'aider à sa situation. Tu ne voudrais croire combien cela m'a fait reporter mes pensées à Robert. Dis-lui bien de prendre toutes ses précautions, aussi bien dans ses fonctions que pour le tir, si il a à l'affronter mais ce n'est pas le cas, ici les ambulances divisionnaires sont bien en arrière de la ligne de feu.
A par tout cela, ma bonne chérie tout va bien, j'ai dû faire ressemeler mes souliers une deuxième fois. C'est un soldat cordonnier qui me les a refaites, ça a l'air très solide, j'ai fait mettre des clous.
Je n'ai besoin de rien, du reste je m'efforce de ne pas me couvrir trop, car je prévois de plus grands froids qui m’obligeront peut-être à me couvrir davantage. J'ai eu la chance jusque à présent de pouvoir toujours me changer quand j'étais mouillé et, comble de bonheur, la pluie tombe presque toujours quand je suis à l'abri. Je n'ai jamais songé à demander si tu avais reçu mon mandat de 300 francs ; il est vrai que je n'ai pas reçu de lettre de toi depuis, je t'envoie le talon du mandat-carte. Malgré ce mode d'envoi, je me conforme à ce que tu m’indiques pour la relégation, quitte à t'envoyer le reliquat au moyen d'un mandat carte si ce système réussit mieux que le mandat sur le trésor.
Les vaguemestres vont partir, je termine et t'écrirais ce soir si je reçois quelque chose de toi. Le temps me semble bien long sans nouvelles. Tu n'es pas malade au moins ?
Embrasse bien loulou, Eugénie, Madame Jauny, présente mes amitiés à Monsieur et Madame Roche. Hier je t'ai envoyé la lettre du directeur, sans te l'annoncer, pour cacher mon écriture qui était visible à travers le papier de l'enveloppe et ce que je te disais était un peu compromettant.
Je t'embrasse fort. Ton tout à toi
J.Druesne
Ci-joint aussi un extrait de journal concernant Ypres. Tu verras l'emplacement de cette ville sur la carte des chemins de fer qui fait suite au programme des trains, guide de Belgique qui est je crois dans la bibliothèque de Robert ou dans la vieille armoire du grenier, sur la planche à hauteur de tête.
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"Historique du 37e régiment d'infanterie. France. 1914-1918"
Le 16, après un bombardement d’une violence exceptionnelle qui dura trois heures, l’ennemi, pour venger son échec de la veille, déclenchait un nouveau retour offensif. Sous sa violente poussée, la ligne formée par les 1er et 3e bataillons et les zouaves fléchissait un instant, mais, grâce à une contre-attaque immédiate et énergique des derniers éléments disponibles du régiment qui s’élançaient sur l’ennemi avec un élan irrésistible, l’attaque ennemie était brisée et les Allemands se repliaient en désordre.
C’était le dernier effort de l’ennemi qui, épuisé par ses pertes, lassé par notre énergique résistance et nos attaques incessantes, renonce à la lutte.
16 novembre 1914 (JMO du 37e RI)
Au point du jour, un bombardement ennemi extrêmement violent est dirigé sur le bois triangulaire et les tranchées en arrière. Il dure jusqu'à 10 heures et l'attaque allemande lui succède. La ligne formée par les 1er, 3e bataillons et les Zouaves flèchit. La situation devient grave. Les dernières unités réserver des zouaves et du 37e sont engagés dans la direction de "ma campagne" vers 14h30. La progression reprend.
À 15 h 30,1 bataillon de tirailleurs est mis à la disposition du commandant Javelier, mais son emploi est jugé inutile et il est reporté en arrière vers le PC du Lieutenant colonel commandant le régiment.
Dès la veille, le régiment avait reçu une notification d'une nouvelle répartition de la zone d'action du 20e Corps d'Armée dont toutes les unités étaient arrivées et le 37e devait être relevé dans la nuit du 16 au 17 par une brigade marocaine pour se rendre en cantonnement de repos à Woesten.
Là 11e division devait occuper une zone limitée par la lisière est de Langhemarck, Moulin de Langhemarck, ligne forêt candide Troère, borne 2 sur la route Ypres- Boesinghe, borne 23 sur la route Woesten- Elverdinghe, Coppernolle Cabaret, Coppernolle Hoeck, Sb Sipse couvent (cette ligne exclue) et la ligne Weldhoeck, Boesinghe, Woesten, Eyhkock, Crombecke, ces localités incluses.
La disposition de la division est la suivante : 69e en première ligne, 26e - premières troupes disponible vers Boesinghe; 22e brigade (37e et 79e) vers Woesten.