Je me suis souvent creusé la cervelle (qui pourtant est déjà bien trouée, la pauvre) pour récupérer, là-bas, au loin, mes souvenirs enfantins. En vain. Il y a comme un gros vide dans ma mémoire.
Après réflexion, je me souviens d’une chose.
Quand j’étais petite, je croyais que la vie était floue, totalement floue, que personne n'y voyait rien, juste du flou, tout comme moi. Que c’était normal, de vivre dans un brouillard permanent. Un peu comme un sourd qui pense que tous vivent dans le monde du silence et qui ne saura jamais ce que la musique aurait pu éveiller en lui. Je croyais qu'à l'école la maîtresse mettait des trucs illisibles au tableau, juste comme ça. ça a duré des années. Mais vraiment des années, les adultes ont été tartignoles sur ce coup là. Et je n’ai rien dit. Qu’aurais-je pu dire, je ne réalisais pas que j’étais différente. Peut-être aussi que j’étais bien, dans ma bulle nuageuse.
Jusqu'à ce que mon attitude éveille tout de même l’attention, après tant et tant d’années, tant et tant de jours (une gamine qui insiste tout le temps pour s’approcher du tableau, ça finit par paraître suspect). Jusqu’à ce qu'on me dépose tendrement une paire de lunettes sur mon pif... et là, la vie s'est éclairée d'un coup. J’ai vu. De mes yeux vus. J'ai vu les publicités, j'ai vu les enseignes des magasins, j'ai vu les voitures, j'ai vu les gens dans les voitures, j'ai vu les oiseaux dans le ciel, j’ai vu les chiens, j’ai vu les abeilles, j'ai vu la vie...
De cette époque, je garde sans doute cette capacité à évoluer au quotidien tout en restant entièrement dans ma bulle, mes pensées, ma vie intérieure, au point de ne rien voir de ce qui m’entoure, parfois, inconsciemment, comme à cette époque où la brume était ma compagne.
Illu de Flou, oups, de Flo (oui, bon, c'est dimanche...)