17 novembre 1914
Ma bonne Cécile,
Nous quittons ce trou de la mort, remplacés par d’autres.
Je n’ai rien, à part un éclat de shrapnell au mollet qui m’a fait un petit trou comme une tête d’épingle à chapeau mais une plaque noire comme une pièce de cent sous. Ça ne me gène pas pour marcher et je n’ai même pas employé de médicaments, mais si j’avais été ½ seconde plus avancé ce n’est pas au mollet que je recevais le bouquet mais sur la tête. Je l’ai donc échappé belle. Est ce encore au petit singe de… chose que je dois cela?
Allons ma chérie, crois de plus en plus avec moi en ma bonne étoile. Ici presque toutes les maisons ont reçu quelque chose, sauf celles ou je mange et où je couche.
Ces journées viennent de couter cher, mais si nous n’avions pas été là, non seulement pour résister, mais encore pour avancer, c’eut été un désastre.
Mille baisers
J.Druesne
Toujours pas de lettres
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17 novembre 1914
Mon cher Robert
Toujours sans nouvelles de toi et de maman, ce qui en raison de la sérieuse situation où nous sommes m’enlève un peu de mon humeur ordinaire. Rien reçu dans le déluge sinon un éclat de shrapnell au dessus du mollet gauche, rien de grave, qu’une petite tache noire d’une grandeur d’une pièce de 100 sous. Je ne boite même pas et je pas eu à me servir de médicaments. En revanche Raymond a reçu une balle dans la bouche et est mort sur le coup. C’était un brave, il allait être nommé officier. J’ai donné des détails à maman, elle te les communiquera sans doute. Malgré tout, l’état du régiment est superbe, il vient de se tracer une nouvelle page dans l’histoire de la guerre. Un bataillon a résisté et n’a pas bougé d’une semelle devant 4 régiments, c’est à dire 1 contre 16 !! Et cette pluie ! si tu voyais ces malheureux enterrés depuis 8 jours dans leurs tranchées !! Mais tout va bien quand même .
Je t’embrasse et ne cesse de te recommander la plus grande prudence.
Ton père affectionné
J. Druesne
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Boetzing, 17 novembre 1914
Ma chère et bonne Cécile
Je t’ai écrit ce matin pour t’annoncer notre départ d’ici, le régiment est en effet rassemblé en dehors de ses meurtrières tranchées, mais on attend l’ordre du départ. J’en ai profité pour rester avec la popote, ce qui m’a permis de préparer un déjeuner dans de bonnes conditions.
Ma blessure est insignifiante et j’éprouve à peine un peu de raideur à la jambe et si j’ai cru devoir t’annoncer cette blessure, c’est pour que tu te figures bien que je ne te cache rien. Mais encore une fois, pas d’émoi, ce n’est rien, mais un mètre plus loin c’était grave.
Grâce aux efforts énergiques du régiment auquel vient de se joindre zouaves, turcos, marocains, dragons démontés… etc… on a pu franchir une certaine distance sur la direction ennemie. Cette circonstance a permis au commandant de la 4e Cie qui est un ancien adjudant de l’active, de retrouver hélas! Parmi beaucoup d’autres le corps de Raymond. C’est le lieutenant Moreau, il a noté sur une carte l’endroit exact ou il est enterré. Je me procurerai cette carte.
Je cesse ma lettre car le bombardement recommence et notre quartier semble plus particulièrement visé. J’admire le courage des habitants et surtout des habitantes. Croirais tu qu’en ce moment où les projectiles tombent sur le village, on voit des femmes nettoyer le trottoir!! C’est invraisemblable, à moins que ce ne soit de l’inconséquence. Dans le logement que nous occupons pour la popote, j’ai trouvé après notre départ la fille de la maison nettoyant les planchers , qui en avaient besoin, je le sais bien, mais enfin qui auraient pu attendre. Les routes sont dans un état épouvantable. Le milieu de la chaussée est pavé, le côté droit et le gauche ne sont pas. La nécessité de passer à droite à gauche a mis les à-côtés en marmelade, de sorte que du milieu du pavé on a l’air de marcher dans un fleuve de boue. C’est encore un vilain côté du tableau. Mais ce qui n’est pas possible de narrer, c’est la tenue de nos hommes et des officiers qui depuis huit jours tiennent les tranchées par cette pluie !! Impossible de distinguer la couleur du pantalon rouge de celle de la capote bleue et dire que tout à l’heure, par un fugitif rayon de soleil, j’ai entendu ces hommes plaisanter, malgré leur état lamentable…
J’arrête ici ma chérie, je terminerai ce soir ou demain après l’arrivée du courrier et après la décision relative à notre changement.
Je t’embrasse bien fort en attendant.
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17 novembre 1914 (JMO du 37e RI)
Le régiment relevé des tranchées arrive dans la zone de stationnement pendant la nuit du 16 au 17. Il est réparti comme il suit:
1er bataillon- Zone comprise entre le ruisseau de Varnebeck, à l'Est , le ruisseau de Kemmelbeck à l'Ouest, au Nord une ligne passant par l'église de Boesinghe, Elverdinghe exclusivement. P.C. du chef de bataillon: ferme au centre au Nord de la cote 11.
2e bataillon : Secteur compris entre le Kemmelbeck et le Klein Kemmelbeck à l'Ouest. Au Nord par la ligne de Boesinghe , Woesten, précitée, au Sud par l'embranchement du chemin situé à 200 m, Nord du moulin d'Elverdinghe et le passage de la route Elverdinghe, Woesten sur le klein Kemmelbeck. P.C.: grande ferme cote 15.
3e bataillon: Rectangle compris entre le klein Kemmelbeck à l'Ouest une ligne allant de la borne B6 sur la route Elverdinghe, Poperinghe au carrefour de Woesten à l'ouest, au nord par la ligne Eglise de Boesinghe, moulin de Woesten, au Sud par la ligne point 23, route d'Elverdinghe à Woesten partie ouest de Woesten jusqu'à la route de Zuydshoote.
Le premier bataillon sera à peu près en colonne double, le 2e avec 3 compagnies en ligne et une en arrière, le 3e bataillon avec 2 compagnies en 1ere ligne et 2 dans Woesten.
C.H.R. Woesten, partie droite de la grande rue, jusqu'au carrefour de la route de Zuydschoote.
PC du Colonel, Etat-Major Woesten
P.C. 1, P.C.2, Woesten
Pertes du 10 au 17 novembre
Officiers tués: Capitaine Bourjade; Sous-lieutenant Lauras; Sous Lieutenant Pariot; Capitaine Liégey; Lieutenant Ruel
Officiers blessés: Capitaine Dettweiler; sous-lieutenant Laroche; sous-lieutenant Brougniard; Sous-lieutenant de Poudraguin; sous-lieutenant de la Passe.
Officiers disparus: sous-lieutenant Martin; sous-lieutenant Picard.
Troupe: 107 tués; 282 blessés; 228 disparus.