Boesinghe novembre 1914
Chère et bonne Cécile,
Me voici revenu dans cet endroit que j’appelais le trou de la mort et je lui trouve un autre aspect; d’abord si le canon tonne plus vigoureusement, c’est de notre coté où nous avons des forces considérables de cette arme. Puis le soleil étincelle, essayant de fondre la boue qu’une très forte gelée a durci cette nuit.
Enfin, j’ai reçu deux lettres qui manquaient à la collection reçue la veille: 1° ta lettre du 5 9bre, 2° celle du 6 écrite par Robert et complétée par toi.
Suivant ton désir, je te renvoie ma lettre du 31. Tu as l’explication à cette lettre, puisqu’à cette heure, tu dois être en possession du mandat poste de 300 frs que Raiguelé t’a envoyé et dont je t’ai adressé le talon. Dans cette lettre ci incluse, je visais le bon du trésor de 200 que je t’ai envoyé de Bray sur Somme.
Cette lette; je te le disais est datée de Boesingne, mais nous n’y restons pas; nous en partirons ce soir à 6h je crois. C’est dommage, car nous sommes dans un château mais un vrai château, avec Clément nous occupons une chambre à deux lits, mais hélas nous n’en aurons que la vue. J’écris néanmoins de cette chambre ayant vue aussi comme en un château précédent, sur une pièce d’eau dans laquelle s’ébattent des cygnes. Chose curieuse ce château qui est presque au centre du village si abimé par l’artillerie prussienne, est absolument indemne. Le châtelain qui est bourgmestre du pays, habite dans une de ses fermes aux environs. Comme il y a pas mal d’espions cette particularité du respect du château m’étonne: à moins que les prussiens ne caressent l’espoir d’y venir loger. Quoi qu’il en soit, je profite des quelques moments que j’y passe auprès d’un bon feu que je viens de faire allumer, pour venir vous renouveler à Robert et à toi mes remerciements pour les deux bonnes journées que vos lettres viennent de me faire passer.
N’oublie pas de me tenir au courant de l’incident des alsaciens prussiens de Maxéville.
Ce matin je suis repassé auprès du trou de boue dans lequel je m’étais vautré 2 jours avant, il est toujours là, mais le dessus de la couche était gelé. Le pauvre Chasselin qui était avec la mignolle (voiture dans laquelle est contenu le matériel de la popote) y a perdu son sac dans lequel était son linge. Heureusement, j’ai demandé pour lui au colonel un colis de la croix rouge de sorte qu’il est remonté, je lui ai fait donner un autre sac.
As tu remarqué dans les communiqués des journaux de ces jours derniers qu’on signalait qu’un régiment allemand aurait été anéanti. C’est l’œuvre du 37e, encore, dans ces fameuses journées et nuits dont je t’ai parlé récemment, hélas, ça coute cher.
Je t’embrasse bien tendrement ma bonne Cécile, à demain.
J.Druesne
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20 novembre 1914 (JMO du 37e RI)
Le 20 soir, le 37e relève le 69e dans les tranchées de 1ere ligne , en réserve de ce secteur. La disposition du régiment est la suivante:
1er et 2e bataillons en 1ere ligne de la station de Langemarck au chemin de Videndreft: 1er à droite.
3e bataillon: 11e t 12e en réserve de sous/secteur sur la voie ferrée au Nord de Pilkem. 9e et 10e à Pilkem avec le chef de bataillon en réserve de secteur sous les ordres du colonel commandant la 21e brigade (Colonel Aimé)
PC du colonel dans une ferme au Sud du ruisseau de Hannebeck à l'ouest et près de la voie ferrée.