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Contes pour Salilus – Le téléphone

Publié le 26 novembre 2014 par Stella

Jardin

(c) Momo-fait-de-la-photo

"Au moins, je suis chez moi partout..." avait conclu Norman ce matin-là, à l'aube d'une journée ensoleillée et calme. L'optimisme n'était pourtant pas son fort, il avait même, ces derniers temps, une fâcheuse tendance à la dépression. Mais pendant la nuit, il avait pris de bonnes résolutions : sortir de cette fichue apathie qui le tuait lentement et réfléchir posément à ce qu'il pouvait humainement faire pour redonner sens à sa vie.

Ces derniers mois - à moins qu'il ne s'agisse plutôt d'années - il avait donné dans le "pas banal". Tout d'abord, il s'était complètement réveillé de ce qui lui avait paru être un long cauchemar. Ses yeux s'étaient ouverts, difficilement, comme s'il avait eu les cils collés par un trop long et trop profond sommeil, sur une chambre aux murs crème, qu'il avait immédiatement identifiée comme étant d'hôpital. Le soleil - déjà lui - filtrait entre les stores vénitiens et le silence était absolu. Péniblement, les souvenirs lui étaient revenus, et surtout cette guerre idiote à laquelle, contraint par l'administration, il lui avait fallu participer. A ses oreilles résonnaient encore le fracas des bombes et des avions de chasse, le hurlement des canons qui soulevaient des gerbes de terre et de corps, les claquements secs des mitrailleuses.

Norman eut alors une pointe d'angoisse : s'il était à l'hôpital, c'est qu'il était blessé... Son corps lui était effectivement douloureux, mais il s'aperçut bientôt que c'était plutôt l'ankylose d'une longue station allongée. Rassuré, presque joyeux, il s'était levé et c'était à ce moment-là que l'autre cauchemar, le second, celui qu'il traversait maintenant, avait commencé.

Comme il se sentait en forme, il s'était habillé rapidement, retrouvant en un geste automatique ses vêtements civils qu'il avait pris soin de ranger soigneusement dans le placard. Il se souvint alors qu'il était venu la veille pour une visite de contrôle et que, les diverses ponctions l'ayant un peu affaibli, l'hôpital lui avait offert quelques heures de repos dans une chambre libre. Il peinait quand même à reprendre ses esprits : il ne savait plus pour combien de temps il était encore en permission, ni quelles étaient les nouvelles du front, ni si ses camarades s'en étaient finalement sortis... Agacé, il sortit dans le couloir et se dirigea de son grand pas vers le bureau des infirmières. Ces pipelettes allaient le renseigner, au moins pour ce qui concernait l'actualité.

Il ne s'étonna pas vraiment de ne voir personne au comptoir des médicaments, ni même à la permanence du personnel soignant. Il devait y avoir affluence aux urgences et tout le monde y était allé prêter main forte, se dit-il. Vaguement mal à l'aise, Norman prit l'ascenseur. Au rez-de-chaussée, le grand hall était absolument vide. La cafétéria, qui bourdonnait habituellement de conversations, et où se croisaient grands malades et civils honteusement bien portants : vide. "On est dimanche ?..." s'interrogea Norman pour se rassurer. Fouillant dans ses poches, il sortit son paquet de Marlboro et alla s'en griller une petite dehors, histoire de faire un peu le point parce que décidément, tout cela était bien bizarre...

Il n'y avait pas vraiment de jardin devant l'hôpital, juste une vague pelouse, deux ou trois arbustes et quelques fleurs, et des bancs de pierre pour accueillir les fumeurs. Là aussi, il n'y avait pas un chat. D'un coup, Norman réalisa que non seulement il n'y avait personne nulle part, mais que même la rue proche semblait vide. Intrigué, il se dirigea vers la sortie principale de l'hôpital, qui donnait sur une grande avenue : les voitures étaient garées le long des trottoirs, les boutiques semblaient ouvertes, la ville paraissait normale mais nulle part, aussi loin que son regard pouvait porter, il n'y avait âme qui vive. Tous les Parisiens avaient disparu. Planté au milieu de la rue, Norman n'apercevait pas même un pigeon anémique ou un moineau espiègle. Rien, personne, nada, nitchevo.

(à suivre)


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