D’abord l’anticipation. Prendre prétexte de l’achat d’un cadeau pour Noël pour quelqu’un d’autre et te faire plaisir à toi aussi. Avoir hâte de voir l’étalage, la décoration des fêtes, les nouveaux titres surtout.
Le choix de la librairie. Sans hésitation une librairie indépendante (Rose-Marie à Buckingham) parce que tu boudes Renaud-Bray depuis plusieurs mois : il ne veut pas des livres de Dimedia, tu ne veux pas des siens. Quant à Archambault, il peut se passer de ton argent et de toute façon, le magasin est mal situé pour toi.
Et puis quel plaisir de voir que la propriétaire te reconnait, même si tu n’y vas plus aussi souvent, depuis que tu es membre de la BANQ. Et si elle ne se souvient pas de ton nom, son sourire et l’empressement avec lequel elle t’indique où trouver tel ou tel livre te font chaud au cœur comme si tu partageais une même passion, ce qui est le cas.
Le choix des livres. Le véritable enchantement commence, la délectation. Comme des caresses d’amour. Rapidement tu prends le livre de 1000 pages de Ken Follett pour le cadeau des Fêtes. Peut-être l’emprunteras-tu pour le lire ? Tu t’attardes aux présentoirs des nouveautés. Tu remarques que les sept tomes de Fanette de Suzanne Aubry ont leur propre présentoir. Wow, quelle promotion ! Tu hésites devant le dernier de Michel Tremblay, Survivre Survivre. Mais tu sais que c’est une sorte de suite de la diaspora des Desrosiers et que tu n’as pas lu tous les précédents. Prendre un livre de Léméac/Actes sud est toujours un plaisir. Tu as toujours aimé le format, le choix du papier la texture de la couverture. Quoiqu’on dirait bien qu’au toucher, la couverture n’est plus aussi poreuse. Tu hésites.
Tu te rends dans les bandes dessinées, tu cherches les éditions de la Pastèque, tu ne trouves pas, tu demandes à la propriétaire. Auteur Marsi, Titre Colis 22, éditions La pastèque, elle trouve immédiatement. Pourquoi celui-là ? Depuis le temps que tu voulais lire Marsi, le compagnon de Venise. Tu as couché chez eux, ou plutôt tu avais séjourné dans leur stationnement trois jours pendant les correspondances d’Eastman. Elle tient un blogue sur la littérature québécoise, Le Passe-mot et lui, il dessine. Fort bien d’ailleurs. Tu feuillettes : un vélo. Ça te rappelle tes intrépides virées avec tes bicyclettes. Tu tournes encore quelques pages, tu es ravie, tout à fait le genre de dessins en noir et blanc comme ceux de Michel Rabagliati que tu aimes bien aussi. Tu hésites, mais entre un Tremblay que tu pourrais emprunter à la bibliothèque et une bande dessinée québécoise, d’un auteur relativement nouveau qui commence dans le domaine… tu te décides, ce sera Marsi.
Un troisième ? Allez, dis oui. Un roman que tu ne peux pas emprunter en numérique à la BANQ, parce que tous les éditeurs ne s’y trouvent pas, allez savoir pourquoi. Tu retournes aux romans, tiens un nouveau Nancy Huston, oui, tu te souviens avoir lu un article sur elle, dernièrement. Bad girl. Non, non, tu ne vas pas encourager ces titres en anglais ? Tu sais comme ça t’horripile cette tendance très française de croire que l’anglais répond mieux à certaines façons de penser. Et puis tu sais aussi que tu as été souvent déçue de la lecture de Nancy Huston. Tu feuillettes quand même. Page 11 : «Toi, c’est toi, Dorrit. Celle qui écrit. Toi à tous les âges, et même avant d’avoir un âge, avant d’écrire, avant d’être un soi. Celle qui écrit et donc aussi, parfois, on espère, celui/celle qui lit. Un personnage.» Et page 259, une citation de Roland Barthes « Tout ceci doit être considéré comme dit par un personnage de roman. » Tu es remuée, avoues. Tout à fait ce que tu voudrais écrire au sujet du manuscrit sur lequel tu travailles présentement. De vraies personnes qui deviennent personnages. Dont la vérité se change peu à peu en simple vraisemblance.
Tu aimes déjà ces petits chapitres courts qui tiennent en une demi-page, parfois deux. Tu le gardes dans tes mains, mais tu cherches s’il n’y aurait pas mieux. La tête penchée pour voir les noms des auteurs, tu cherches dans les « L », sachant bien que les tiens ne sont plus sur les tablettes depuis bien longtemps. Et puis, de toute façon, trop estomaquée par ce que tu viens de lire, tu sais que ton choix est fait, tu jettes un coup d’œil à la quatrième couverture et à quelques pages encore du Bad girl de Huston. Non, décidément, tu dois le prendre, tu veux le lire, tu sais déjà que tu souffriras de ne pouvoir écrire comme elle, qu’il ne faut pas d’ailleurs, mais que finalement tu baigneras dans cette atmosphère que tu aimes tant, assise dans ton fauteuil préféré, au coin du feu, peut-être du Mozart ou du Bach en sourdine, un café sur la petite table, sûrement. Tu essaieras de ne pas te précipiter sur ton cahier de notes à chaque trois pages de lecture. Tu essaieras d’être une lectrice seulement.
Tu seras comblée.
(photo de l'auteure)
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