Aucun mot n'est trop grand trop fou quand c'est pour elle
Je lui songe une robe en nuages filés
Et je rendrai jaloux les anges de ses ailes
De ses bijoux les hirondelles
Sur la terre les fleurs se croiront exilées
Je tresserai mes vers de verre et de verveine
Je tisserai ma rime au métier de la fée
Et trouvère du vent je verserai la vaine
Avoine verte de mes veines
Pour récolter la strophe et t'offrir ce trophée
Le poème grandit m'entraîne et tourbillonne
Ce Saint-Laurent pressent le Niagara voisin
Les cloches des noyés dans ses eaux carillonnent
Comme un petit d'une lionne
Il m'arrache à la terre aux patients raisins
Voici le ciel pays de la louange énorme
C'est de tes belles mains que neige la clarté
Etoile mon étoile aux doigts de chloroforme
Comment veux-tu que je m'endorme
Tout me ramène à toi qui m'en semble écarter
Et parlant de tes mains comment se peut-il faire
Que je n'en ai rien dit moi qui les aime tant
Tes mains que tant de fois les miennes réchauffèrent
Du froid qu'il fait dans notre enfer
Primevères du coeur promesses du printemps
Tes merveilleuses mains à qui d'autres rêvèrent
Téméraires blancheurs oiseaux de paradis
Et que jalousement mes longs baisers révèrent
Automne été printemps hiver
Tes mains que j'aime tant que je n'en ai rien dit
Le secret de ces mains au-delà de notre âge
Mènera les amants qui parleront de nous
Mais qu'est un beau soleil à qui n'a vu l'orage
Sans le désert qu'est le mirage
On sait un pays grand lorsqu'il est à genoux
[...]
Louis Aragon, "Cantique à Elsa", Les Yeux d'Elsa
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